L’icône du Mythos de Gaïa est un coco de mer aux détails cosmiques: les symboles du Soleil et de la Lune avec la Terre émergente indiquée par une croix, une fente marquée par un X. Là où git le trésor. L’histoire qui accompagne cette image explique ce que cela signifie d’être l’espèce à la fois la plus adaptable et la plus destructrice demeurant sur cette planète, la Terre. Le Mythos de Gaïa, une narration co-évolutive, encode des secrets intimement gardés par les Mystères Païens. Cette histoire, cependant, n’est pas l’apanage d’une élite et les “secrets” qu’elle recèle sont accessibles à tous ceux qui ont le désir et la capacité de les comprendre.
Le chemin Gnostique, c’est l’amour de la connaissance et l’amour de ce que l’on connaît. Pour tous ceux qui découvrent qu’ils l’aiment, la Vision Sophianique des Mystères est un référentiel de l’extase et de la révélation.
Cosmologie Gnostique
L’histoire de l’Eon Sophia, la Déesse Déchue n’existe, sous sa forme complète, que dans les traités Gnostiques et elle est également paraphrasée dans certaines polémiques Chrétiennes dirigées à l’encontre des Gnostiques; même dans ces sources, elle n’y a survécu que sous une forme fragmentaire. Techniquement, cette histoire est une cosmogonie – la description de l’origine d’un monde ou d’un cosmos – mais il est plus adéquat de la considérer comme une cosmologie, la description du fonctionnement d’un système cosmique, fondée sur les conditions de son origine. Fort heureusement, les rares vestiges de la cosmologie Gnostique sont corroborés par un éventail de sources classiques, de mythologies inter-culturelles et de sagesse Indigène. Dans la mythologie Gréco-Romaine, par exemple, le thème du “mariage d’Ouranos et de Gaïa” met en exergue une relation spécifique entre le domaine céleste et Gaïa, la Terre vivante. Ouranos, qui est le nom Grec pour “les cieux”, fait référence au Plérome, le royaume des Dieux ou, en termes astronomiques, le coeur galactique. Le mariage mythique entre le Plérome et la Terre est cohérent avec le scénario Gnostique de l’Eon Sophia qui plonge du coeur de la galaxie pour se métamorphoser en la planète que nous habitons. Sophia est exilée du Plérome et “enracinée” dans la sphère terrestre mais, précisément en raison des conditions uniques qui ont présidé à la formation de la Terre, notre planète maintient une relation étroite avec le centre cosmique, le coeur même de la galaxie.
J’ai écrit, dans un autre essai de la Métahistoire, qu’une bonne partie de la mythologie peut être explorée avec une lunette astronomique. (Sans aller aussi loin, cependant, que Santillana et von Dechend qui proposent dans leur ouvrage “Hamlet’s Mill” que le mythe n’est rien d’autre que de l’astronomie encodée). La transposition du mythe en astronomie constitue, bien sûr, un acte créatif qui requiert le recours à l’imagination – c’est donc un exercice de mythopoésie, l’élaboration intentionnelle d’un mythe.
Le mythe de la création Gnostique offre un contexte unique, pour un tel exercice, parce qu’il présente juste assez d’indices séduisants pour éveiller l’imagination et nous inciter à nous engager dans une visualisation de ce qu’il est advenu à la Déesse Pléromique, Sophia. Ce que nous savons aujourd’hui de la structure générale de notre galaxie, de la naissance du soleil, de la formation des planètes, et de la position actuelle du système solaire dans les bras galactiques, présente un arrière-plan pour recouvrer la cosmologie Gnostique. Au mieux, nous avons l’opportunité de développer cette narration sacrée en une épopée visionnaire de notre composition. Ce faisant, nous recouvrons une participation empathique au vécu de la Déesse Terre, Gaïa-Sophia.
Ainsi que nous l’avons suggéré dans notre essai “Le Mythos de Gaïa: le Partage”, l’objectif de l’humanité, dans le processus de vie de Gaïa, réside dans notre capacité de remémorer et de raconter Son Histoire. La Métahistoire présente non seulement une critique de l’histoire, et des croyances qui y sont encodées, mais propose également un rappel de la dimension mythique de l’histoire de notre propre espèce. Tout ce qui permet de conforter ce rappel est le bienvenu. La raison pour convertir le langage mythico-mystique, des enseignements Gnostiques, dans les concepts de l’astronomie moderne n’est pas tant d’utiliser la science pour valider la vision Gnostique que de relier notre représentation courante du cosmos à une expérience visionnaire antique et séminale dont on peut découvrir de frêles vestiges dans les écrits Gnostiques.
Il est, cependant, extrêmement ardu, même avec des corrélations scientifiques, de construire une version cohérente du scénario de la Déesse Déchue. Si l’on se fonde strictement sur les textes qui ont survécu, il n’existe pas de “cosmologie Gnostique”, ou bien alors très peu. Les textes mêmes sont, pour la plupart, altérés et peu fiables. La “bibliothèque” de Nag Hammadi est un monceau pitoyable de vestiges, à l’image d’une poignée d’éclats de verre d’un dôme en vitrail brisé. Ces documents furent traduits en Copte à partir “d’originaux Grecs”, selon ce qu’en disent les érudits, mais il n’est aucunement possible de savoir si les textes Grecs étaient réellement des écrits Gnostiques originels. Après les avoir lus et relus, je suis enclin à ne voir, dans ces textes, que des notes d’étude sous une forme incomplète et brute. Les textes Coptes ont l’allure de traductions bâclées par des scribes qui ne comprenaient pas tout à fait ce qu’ils traduisaient.
Cinquante documents fragmentaires dont le contenu est largement incohérent et d’une inconsistance exaspérante: c’est tout ce qu’il reste des milliers et des milliers de codex et de manuscrits d’antan, qui comprenaient de nombreux ouvrages sur la géologie, l’astronomie et les mathématiques, et qui avaient été rédigés par les initiés des Ecoles des Mystères. Pour remplacer ce qui est manquant, ou ce qui est tronqué, dans les Codex de Nag Hammadi, il nous faut nous orienter vers les paraphrases que l’on trouve dans les polémiques de ceux que l’on appelle les Pères de l’Eglise et qui s’opposèrent aux Gnostiques. Pour certains épisodes du scénario de la chute de Sophia, et de son incarnation subséquente en tant que Gaïa, il nous faut nous appuyer, par exemple, sur Irénée, l’évêque de Lyon, qui écrivit “Contre les Hérésies” aux alentours de l’an 180.
Une histoire complète, décrivant comment Sophia devient Gaïa, ne peut être élaborée qu’en établissant des inférences et des extrapolations. Le scénario de la Déesse Déchue s’appuie, à des moments clés, sur de tels embellissements mais il reste, cependant, que la version recouvrée n’est pas une invention de l’auteur.
L’Heureux Treizième
Le treizième paquet de la Bibliothèque de Nag Hammadi est constitué de huit feuilles de papyrus, à savoir seize pages seulement. C’est le seul codex (ouvrage de feuilles reliées) qui ait été trouvé sans couverture de cuir et c’est également le seul codex (mis à part le codex II) dont les feuilles ne soient pas numérotées. Les textes sont incomplets et les deux premières feuilles semblent presque avoir été brûlées. Elles ne sont pas consumées sur les bords mais abîmées par de la fumée. La famille Arabe, dont les fils découvrirent les Codex de Nag Hammadi, en décembre 1945, dans une grotte à flanc de falaise, avait brûlé quelques feuilles pour faire chauffer l’eau du thé. Au quatrième siècle, lorsque les Codex de Nag Hammadi furent cachés, des idéologues fanatiques, connus sous le nom de “Pères de l’Eglise”, avaient décrété que tous les écrits Païens et Gnostiques fussent brûlés. Il semble que les premières pages du codex XIII aient été littéralement arrachées du feu.
La Gnose est la connaissance qui libère. Tout comme cette connaissance est précaire, ainsi en est-il de la liberté.
Le seul texte complet dans le codex XIII est la “Protennoia Trimorphique”, un titre qui est grandiosement rendu par “La Pensée Divine Primordiale Trimorphique”. La main du scribe, qui l’a recopié, semble être la même que pour le codex II, mais dans un mode plus rapide, plus cursif, comme si cela avait été rédigé dans la hâte. Les experts suggèrent que cela ait pu avoir été rédigé par deux mains, celle de l’élève et celle de l’enseignant. Cette opinion s’accorde avec ma propre perception (non experte) selon laquelle les traités Coptes sont des notes d’étudiants ou des notes dictées par des enseignants à des novices. Les écrits retrouvés, sous la falaise de Jabal al Tarif, sont sans aucun doute des “notes de falaises” (NDT: le terme anglais CliffNotes fait référence à des guides, à l’usage des étudiants, d’ouvrages classiques tels que les oeuvres de Shakespeare ou d’Homère).
La structure de la “Protennoia Trimorphique” se distingue des autres traités. Elle est construite comme une fugue à deux voix, à la première et à la troisième personnes. Les passages principaux, et les plus longs, sont appelés des “arétalogies à la première personne”. Ces déclarations utilisent le “Je” pour une entité surnaturelle qui décrit ses caractéristiques et ses oeuvres:
«Je suis la pensée qui demeure dans la lumière,
le mouvement qui soutient tout ce qui est permanent,
Celle en qui tout demeure, le premier-né de tous ceux
qui existent dans la présence du Tout
Je demeure en ceux qui viennent à être
Je me meus en chacun et je me plonge en tous,
Je chemine tout droit, et ceux qui dorment, je les éveille.
Je suis la vision de ceux qui demeurent dans le sommeil
Je suis l’invisible au sein de tous
C’est Moi qui conseille ceux qui sont cachés…»
(“Protennoia Trimorphique” 35:1-25).
Le style des arétalogies est inspiré et poétique. Le contenu en est visionnaire et ce type de texte est appelé “un discours de révélation”. En alternance avec les arétalogies se trouvent des passages à la troisième personne qui sont apparemment destinés à indiquer la compréhension du discours par l’étudiant, ou peut-être sont-ce les annotations de l’enseignant qui sont intercalées pour faciliter la compréhension de l’étudiant. Le sujet de la “Protennoia Trimorphique” est le thème au coeur de la cosmologie Gnostique: la descente de l’Eon Sophia dans le royaume chaotique au-delà de la membrane enveloppante du Plérome. Son plongeon est décrit en trois phases ou trois incréments:
«Tout d’abord, la Protennoia est la voix de la Pensée Primordiale qui descend comme lumière dans les ténèbres pour façonner ses membres déchus. Ensuite, la Protennoia est le Discours de la Pensée qui descend pour fortifier ses membres déchus en leur conférant esprit ou souffle. Troisièmement, la Protennoia est la Parole ou le Logos de la Pensée qui descend en se conformant aux puissances, assume une apparence humaine, introduit la lumière baptismale illuminatrice des Cinq Sceaux et restaure ses membres dans la lumière» (NHLE 1996, page 511, paraphrasé par John D. Turner).
Protennoia signifie “intention mentale primordiale” ou Pensée Primordiale, comme les érudits le traduisent. Ce terme est empreint de notions spécifiquement Gnostiques. “Proto” signifie à la fois “premier, primordial ou primaire” et “générateur”. Le protoplasme est la base biologique de toutes les formes vivantes. Un prototype génère tous les types subséquents. Ennoia est composé de en-, “intention, volonté” et de noia, une variation de noos “intelligence, mental, conscience”. Le mot Grec noos définit, dans tous les enseignements Gnostiques, le don spécial que Sophia et les dieux Pléromiques confèrent à tous les êtres conscients et plus particulièrement à l’humanité. Notre don de sagesse est noos, une parcelle de l’intelligence divine, la capacité de connaître ce que Dieu connaît.
Le Noos est une faculté, ce n’est pas une marque d’identité. Quiconque cultive le noos peut jouir d’une amplification, “propre aux dieux”, de la perception et de la conscience mais non pas d’une inflation de l’ego prétendant à un statut de divinité. La finalité de la pratique spirituelle Gnostique était, et elle l’est encore, non pas de nous percevoir comme des dieux mais de percevoir comme les dieux perçoivent: dans l’extase, éveillés à la présence divine en toutes choses, ressentant le choc de la Beauté.
Un Message pour Transformer le Monde
Les érudits qui travaillent en équipe, durant des décennies, prennent un soin méticuleux à déceler la signification de textes obscurs comme la “Protennoia Trimorphique”. Ils passent continuellement au crible les variations de grammaire, d’orthographe, d’écriture manuelle. Ils écrivent des articles, et parfois même des ouvrages entiers, sur un seul traité. Ils organisent des symposiums pour débattre du contexte historique et philosophique des écrits Gnostiques, généralement avec l’objectif d’en apprendre plus sur les origines du Christianisme plutôt que de comprendre ce que les Gnostiques avaient à dire, selon leurs propres termes.
Le résultat de tout ce travail sur la signification littérale des textes Gnostiques, c’est que le message qu’ils contiennent est négligé, lorsqu’il n’est pas entièrement perdu. Aucun érudit, de nos jours, ne considère le message originel des Gnostiques comme étant de quelconque valeur. C’est l’étrange impasse dans laquelle les études Gnostiques nous ont conduits durant les cinquante dernières années. Environ un tiers des essais présentés dans mes recherches Métahistoriques sont consacrés à la remise en valeur du message originel.
Pour recouvrer et reconstruire l’histoire de Gaïa-Sophia, nous devons prendre en considération ce que les Gnostiques connaissaient réellement à propos des sujets cosmiques. La supposition que le Plérome, qui signifie “plénitude, plenum” fasse référence au coeur de la galaxie est la première étape dans la reconnaissance que les Gnostiques possédaient un savoir astronomique authentique.
En bref, nous déduisons que le Plérome signifie le coeur galactique (mais pas seulement cela) afin que nous puissions développer certaines indications imaginatives qui se trouvent dans les écrits Coptes. (Il pourrait être rétorqué que le Plérome est purement un lieu métaphysique en dehors du temps et de l’espace qui ne devrait pas être “réifié”, à savoir être considéré comme quelque chose de concret. Pour ma réponse à cette objection voir dans le Lexique, sous le terme réalité.)
Les érudits ne font pas de telles inférences parce que les limites de leur discipline ne leur permettent pas de supposer qu’une connaissance astronomique authentique puisse être encodée dans des écrits mystiques. Obligés de coller à la lettre écrite, ils ignorent la question de savoir quel type de témoignage pourrait être fourni par une expérimentation mystique directe, la pratique de la Gnose, l’extase cognitive. Si les érudits modernes, cependant, ne possèdent pas une expérience comparable à celle des initiés Gnostiques, comment peuvent-ils découvrir ce que ces textes visionnaires peuvent nous indiquer? Comme ils n’ont pas accès à la réalité tangible de l’expérience, les experts ne peuvent que pratiquer constamment l’omission. Par peur d’établir de fausses déductions, ils n’en font aucune qui ne puisse pas être fondée textuellement.
Aucun érudit ne pourrait entreprendre ce que je tente de réaliser ici avec les écrits Gnostiques. De plus, en tout état de cause, si je puis me permettre, aucun érudit n’aurait la capacité d’en faire autant. Si tant est qu’il existe, dans le Gnosticisme, un message de transformation profonde du monde, et je pense qu’il y en a un, il n’a que peu de chances d’atteindre le monde entier au travers des filtres de l’exégèse des érudits. Mon objectif majeur est ainsi de découvrir le message que les Gnostiques tentaient de transmettre. C’est pour cela que j’extrapole, au mieux de mes capacités. J’extrapole avec prudence mais j’extrapole énormément parce que l’amplitude de la sagesse visionnaire Gnostique était vaste, pour autant que je puisse le dire. Mes déductions sont fondées sur une vie de mysticisme expérimental ainsi que sur trente années d’étude de ces écrits et d’implication avec les cosmologies mythiques, l’astronomie moderne, l’astrophysique et l’observation des étoiles à l’oeil nu.
Je ne suis pas le seul qui reconnaisse aux Gnostiques un savoir astronomique profond. Jacques Lacarrière, un historien des cultures et un expert en mythologies comparées, a écrit le livre le plus accessible sur le Gnosticisme, qui témoigne de sa divergence totale eu égard au mépris général qui colore généralement l’étude de ce sujet. Son ouvrage “Les Gnostiques”, je vous l’accorde, est une méditation poétique et non point une exégèse érudite telle qu’on puisse en trouver chez Pagels ou chez King.
Jacques Lacarrière, cependant, présente des idées remarquables qui nous permettent d’apprécier l’esprit intrinsèque du Gnosticisme, en tant que tel et non pas en tant qu’une note de bas de page du Christianisme. Il affirme que la connaissance du cosmos chez les Gnostiques n’était pas un produit de l’illusion, ou une spéculation “métaphysique”, mais qu’elle procédait d’une observation du ciel, c’est à dire, d’une rencontre avec l’univers sensoriel réel. Pour les Gnostiques, le ciel est «la première source de connaissance»; la perspective astronomique était «implicite à l’origine même de leur pensée» (page 16). Je ne pourrais pas dire mieux.
Lacarrière extrapole également, à partir des écrits Gnostiques, d’une manière que les érudits conventionnels trouveraient inacceptable. Il suggère que les initiés Gnostiques pouvaient explorer de nombreux mondes et qu’ils étaient donc capables de détecter certains facteurs cosmiques spécifiques au système de monde dans lequel nous demeurons. Comme nous le verrons, les Gnostiques enseignaient que notre monde est aberrant et anormal. C’est une remarque fascinante. Comment auraient-ils pu le savoir s’ils n’avaient eu quelque chose de non-anormal avec lequel ils puissent le comparer? Possédaient-ils une perception directe de multiples mondes? «On pourrait dire que ces autres mondes présagés et devinés par la recherche Gnostique, représentent, en fait, ce que l’astronomie moderne appelle des nébuleuses, des spirales et des amas extra-galactiques.» (page 18).
Certains textes Gnostiques stipulent qu’il existe de nombreux Pléromes. Nous savons aujourd’hui qu’il existe des milliards de galaxies. (NDT: Selon les calculs de l’astronomie moderne, il existerait plus d’une centaine de milliards de galaxies). L’histoire de l’Eon Sophia concerne un Plérome, en particulier, le coeur de la galaxie qui accueille le système solaire dans un de ses bras spiralés. La simple suggestion que des mystiques, qui vivaient il y a deux mille ans, pussent avoir eu une connaissance concrète de phénomènes propres à notre galaxie est, bien sûr, extravagante.
Et ne serait-ce pas d’autant plus extravagant s’il s’avérait que ce qu’ils enseignaient est la stricte vérité?
La Passion de Sophia
Comme nous l’avons souligné ci-dessus, la “Protennoia Trimorphique” traite de l’événement au coeur de la vision Gnostique du monde: la descente de la Déesse Sophia. Le rôle de l’espèce humaine dans la vie de Gaïa est déterminé par la triple descente de Sophia du Plérome, et plus particulièrement dans sa troisième phase.
Afin de préciser comment cela se manifeste, il nous faut convertir la sténographie mystique et théologique de la “Protennoia Trimorphique”, résumée par la paraphrase de Turner (voir ci-dessus), dans des termes cosmologiques. Cela permettra de clarifier le canevas du mythe Gnostique des origines. Nous pourrons, ensuite, par déduction, commencer à explorer le rôle de l’humanité dans le Rêve, par Gaïa, du monde dans lequel nous demeurons.
Première phase: la passion de Sophia La pousse à plonger au travers de la membrane Pléromique plutôt que de générer une émanation à partir du coeur galactique et d’y rester centrée comme le font normalement les Eons. Après avoir quitté le coeur de la galaxie, Elle rencontre des champs chaotiques de matière élémentaire dans les bras galactiques. Elle commence, alors, à organiser automatiquement ces champs de matière élémentaire. «Tout d’abord, la Protennoia est la voix de la Pensée Primordiale qui descend comme lumière dans les ténèbres pour façonner ses membres déchus.» J’ai suggéré que les Eons sont des flux massifs, des torrents de Lumière Organique. Nous pouvons les imaginer comme des pulsations immenses de lumière dans un état super-dense dépourvu de masse, des torrents “d’émulsion lumineuse” (Lacarrière, pages 36, 83). Les flux Eoniques sont vivants, cohérents et auto-organisés (auto-poétiques). Les traités Coptes utilisent les termes “fontaine” et “source” pour le Plérome et “torrent” pour les Eons. Lorsque ce jaillissement torrentiel rencontre de la matière élémentaire (en termes scientifiques, des états atomiques non organisés), il configure cette matière en états et processus organisés. La simple présence de Sophia dans les bras galactiques impartit de l’ordre au chaos des éléments. De nos jours, le processus de réorganisation spontanée est reconnu comme étant une fonction universelle dans la nature. On l’appelle l’autopoésie.
Seconde phase: de par l’accroissement de Son impact, les champs chaotiques de la matière élémentaire, dans les bras galactiques, non seulement s’organisent mais deviennent animés: ils acquièrent une vie propre. En d’autres mots, la force vitale de Sophia se transmet à la matière chaotique de l’espace dans lequel Elle a pénétré. «La Protennoia est le Discours de la Pensée qui descend pour fortifier ses membres déchus en leur conférant esprit ou souffle». Durant cette phase, Sophia génère, en fait, un système de monde rudimentaire mais ce n’est pas encore le système planétaire qui n’émergera que lorsqu’Elle se sera complètement métamorphosée en la Terre. C’est l’épisode le plus complexe du mythe Gnostique des origines car il implique une sorte de pseudo-création, indiquée par le mot Grec stereoma, une projection stéréoscopique, comme un hologramme. Cet hologramme va éventuellement se condenser en un système planétaire incluant la Terre qui tourne autour d’une étoile centrale, le soleil.
Le stéréome est le monde virtuel des Archontes, une espèce d’êtres inorganiques produits par l’impact de Sophia sur la matière élémentaire avant qu’Elle ne se métamorphose en la Terre. Le nom Archonte vient du mot Grec archai signifiant “premier, primordial” (l’adjectif étant Archontique). Les Archontes sont ainsi nommés parce qu’ils émergèrent (ainsi que leur monde) avant que les structures organiques de la vie sur Terre n’émergent, c’est à dire avant que la Terre elle-même soit formée à partir des courants de Sophia. La nature et les actions de ces entités bizarres étaient des secrets intimement gardés dans les Mystères. La détection des Archontes, et l’interprétation de leurs relations avec l’humanité, constituaient une préoccupation majeure pour les initiés Gnostiques. L’activité des Archontes est un élément clé dans le scénario de la Déesse Déchue. (Des informations complémentaires sur ces épisodes étranges sont présentées ci-dessous ainsi que dans le chapitre “Le Rêve Extra-Terrestre: l’Enigme des Archontes”)
Troisième phase: Lors de cette phase, la Terre, telle que nous la connaissons, émerge en tant que conversion des passions de l’Eon Sophia. «La Protennoia est la Parole ou le Logos de la Pensée qui descend en se conformant aux puissances…». Ce langage vague et surprenant signifie que Sophia, l’Eon supra-matériel, reproduit Ses propres attributs dans un monde matériel: Elle entame une descente en se conformant aux pouvoirs élémentaires qu’Elle rencontre dans le chaos, l’espace à l’extérieur du Plérome. En tant qu’Eon, Sophia est un flux vivant et conscient, dont l’amplitude est inconcevable, mais en s’immergeant dans la matière élémentaire noire des bras galactiques, Elle se transforme «en se conformant aux puissances» (ces forces élémentaires) et subséquemment plonge dans une demi-inconscience. En termes de physiques cosmiques, Ses courants plasmatiques se convertissent en masse, et c’est cette masse qui devient éventuellement la Terre. Sophia “se morphe” en un corps planétaire qui se fait immédiatement capturer par les champs configurés de la matière non-Pléromique, le système Archontique des mécaniques célestes.
Une des difficultés, que nous rencontrons dans le recouvrement du mythe Gnostique des origines, vient de ce que les récits écrits de cette phase critique de l’histoire se sont perdus. Les descriptions de la conversion des passions de Sophia en la Terre matérielle, qui existaient certainement sous des formes écrites, ont été presqu’entièrement éradiquées. La version la plus complète de cet événement ne se trouve pas dans les sources Coptes mais dans les écrits polémiques des Pères de l’Eglise. Pour s’opposer à ce qu’ils considéraient être la complexité embellie de la cosmologie Gnostique, les Pères de l’Eglise durent paraphraser les récits qu’ils détestaient tant. La description la plus complète de la dévolution de Sophia en un corps planétaire se trouve dans l’ouvrage d’Irénée “Contre les Hérésies”. Le chapitre 4 du livre I de cet immense ouvrage (en plusieurs tomes) a pour titre “Récit donné par les hérétiques de la formation d’Achamoth. Origine du monde visible à partir de ses perturbations”. Achamoth, une corruption du terme Hébreu Hochma pour “sagesse cosmique”, est un terme Juif attribué par les Gnostiques à la Déesse Déchue.
Irénée écrit: «C’est ainsi que s’expliquent, disent-ils, l’origine et l’essence de la matière dont est formé ce monde: de la conversion est issue toute l’âme du monde et du Démiurge, tandis que de la crainte et de la tristesse est dérivé tout le reste. En effet, des larmes d’Achamoth provient toute l’humide substance; de son rire, la substance lumineuse; de sa tristesse et de son saisissement, les éléments corporels du monde.» (Chapitre V, 2-3).
Comparez ce passage avec la légende des Indiens Thompson, citée dans le commentaire au Prélude du Mythe de Gaïa:
«Au tout début, Kujum-Chantu, la Terre, était tel un être humain, une femme avec une tête et des bras et des jambes et un énorme ventre. Les êtres humains originels vivaient sur son ventre. (La légende raconte comment l’Ancien) transforma la femme ciel en la terre présente. Ses cheveux devinrent les herbes et les arbres; sa chair l’argile; ses os, les rocs; et son sang, les sources d’eau». (Charles H. Long, “Alpha: The Myths of Creation”. Page 36-37).
Maintes et maintes fois, l’enseignement visionnaire Gnostique est corroboré par la sagesse Indigène. Cela fait du sens si l’on considère le Gnosticisme comme une forme avancée, ou hautement élaborée, de shamanisme, une voie visionnaire de très grande sophistication qui émerge de la même rencontre extatique avec la Nature Sacrée que les pratiques shamaniques des cultures Indigènes du monde entier.
Un Appel à la Co-Evolution
Telle est la paraphrase que j’ai développée de la “Protennoia Trimorphique”, transposée en termes astronomiques. Que fait-on de cela maintenant? La troisième phase de la descente de Sophia est encore en processus car l’Eon cosmique, qui a quitté sa sphère normale d’activités, est encore incarné en la Terre vivante. Il nous faut, de nouveau, extrapoler afin d’élaborer quelques notions concernant la participation de l’humanité dans l’expérience de Sophia.
Au cours de la troisième phase, le long processus d’incarnation de Sophia s’oriente vers une période de co-évolution. De par l’émergence de l’espèce humaine sur Terre, la Protennoia, le rêve germinal de l’Eon, “assume une apparence humaine”. Cela ne signifie pas que Dieu, ou plus précisément la Déesse, apparaisse sur Terre sous une forme humaine mais bien plutôt que l’apparition des êtres humains sur Terre constitue une expression particulière du Rêve de la Déesse, une manifestation de son intelligence. Rappelons-nous que Son nom Sophia signifie “sagesse”. Une forme particulière de sagesse cosmique est en train de germer dans l’humanité. En quelque sorte, nous commençons juste à comprendre que Sophia développe la vie sur Terre, non pas exclusivement pour des finalités humaines, mais pour inviter l’humanité à participer à Son histoire. Nous y participons en faisant fructifier le don de sagesse que Sophia a déposé en nous. L’épinoia lumineuse est une partie de ce legs: c’est la puissance de l’imagination créative libre de formes.
En d’autres mots, Gaïa-Sophia dote les êtres humains d’une faculté de co-évolution en participant à Son histoire grâce à la faculté d’imagination. D’autres créatures non-humaines participent plus intimement avec elle, parce que leurs programmes instinctifs ne divergent pas de ses desseins, tandis que nous, nous possédons une latitude considérable pour le jeu, la variation, l’innovation et l’improvisation. Cependant, une telle latitude introduit également le risque que l’humanité se détourne du plan de vie de Gaïa. Initialement, nous commençons à participer avec naïveté tout en manquant d’une perception claire de ce qu’est la co-évolution et de la façon dont nous pourrions la mettre en oeuvre. Nous manquons d’une motivation spécifique à notre angle unique d’implication dans les desseins de Gaïa.
Quelle est notre fonction particulière au regard de la planète? L’art et la science des Mystères avaient pour vocation de répondre à cette question et d’enseigner la motivation spécifique à l’espèce humaine, sa finalité, son telos. De même que la physique ou l’athlétisme, la Télestique est une discipline: à savoir, la théorie et la pratique de la téléologie, l’étude des finalités. Le génie des Telestai, “ceux qui sont tendus vers un but”, reposait dans leur faculté d’explorer et de communiquer la finalité de la participation humaine dans le Rêve de l’Eon Sophia, la déesse de sagesse incarnée en cette planète rare et magnifique sur laquelle nous demeurons.
La sagesse cosmique est, bien sûr, également présente chez toutes les autres espèces de la Terre. A bien des égards, cette sagesse s’exprime, chez les créatures non-humaines, avec beaucoup plus de perfection et d’harmonie. Comme nous venons de le souligner, les autres créatures ont beaucoup moins de latitude de se détourner des voies instinctives de Gaïa. Notre capacité d’expérimenter, d’innover et d’extrapoler des efforts vers des finalités pré-conçues, entraîne le risque de dévier de l’harmonie avec l’ordre de l’évolution terrestre, le Rêve de Gaïa. Bien heureusement, nous pouvons compter sur le soutien et l’instruction des animaux et des plantes pour corriger notre déviance. Les animaux sauvages sont de puissants instructeurs. Les animaux domestiques sont de magnifiques guides et guérisseurs. Certaines espèces de plantes possèdent des substances chimiques psychoactives identiques aux neurotransmetteurs du cerveau humain. De telles espèces sont appelées des plantes instructrices et des plantes de médecine sacrée en raison de leur faculté d’illuminer notre mental et de nous guérir, physiquement tout autant que mentalement.
Avatar, le film de James Cameron, est le premier chef d’oeuvre d’un nouveau genre, une science-fiction Gaïenne, Gi-Fi. Le film décrit une race Indigène de shamans chasseurs-cueilleurs, les Na’vi à la peau bleue, qui vivent sur une planète appelée Pandora, semblable à la Terre, en profonde symbiose avec l’écologie de leur habitat. Les Na’vi pratiquent la connexion avec les plantes, les oiseaux et les animaux afin de rester en harmonie avec Eywa, la déesse similaire à Gaïa dont la présence imprègne Pandora, au travers d’un réseau de “vrilles arborescentes”. De nous aussi, aujourd’hui, la participation dans l’histoire de vie de Gaïa-Sophia requiert un acte de connexion: il nous faut nous y “brancher”. De connaître et d’aimer l’histoire est une chose, et qui est absolument essentielle. Mais de vivre cette histoire avec la Déesse de notre planète/maison en est une tout autre. L’imagerie générée par ordinateur d’Avatar dépeint un monde d’une magnificence et d’une beauté merveilleuses tout comme ce monde, qui est le nôtre, paraîtrait dans l’exaltation de cette connexion réellement vécue. Le film résonne avec le désir reposant en de nombreux coeurs humains – non affirmé mais qui commence à s’animer – d’être vivant dans le Rêve de Gaïa, avec elle, et de découvrir notre rôle authentique dans la symbiose de la trame planétaire.
La sagesse Indigène affirme que nous, les humains, sommes cousins avec toutes les autres espèces et que nous dépendons, pour notre survie, des alliés non-humains, tels que les “animaux de pouvoir”. Ces formes non-humaines de vie intelligente peuvent nous montrer comment mettre en oeuvre l’intelligence Sophianique parce que, sous beaucoup d’aspects, elles le font beaucoup mieux que nous et parce qu’elles sont plus fidèles au plan d’ensemble. Selon les enseignements Amérindiens, «notre humanité reste incomplète et déséquilibrée tant que nous n’avons pas reçu la force d’êtres non-humains» (Andy Fischer, “Radical Ecopsychology”). Bien trop souvent, nous sommes tragiquement seuls avec ce que nous savons, piégés dans notre mode particulier d’appréhension du monde extérieur, emprisonnés par nos modèles, nos cartes, nos symboles et nos langages. Nous croyons, à tort, que l’intelligence humaine est un phénomène anormal, qu’elle est supérieure à toutes les autres formes et séparées de toutes les autres formes. Dans la vision Gnostique, cependant, le statut de l’humanité n’est pas un statut de supériorité mais d’originalité:
L’originalité humaine – qu’il ne faut pas confondre avec de la supériorité – repose dans sa responsabilité spécifique de répondre, au travers d’une collaboration consciente et enthousiaste, aux desseins que Gaïa-Sophia a pour la vie et, peut-être même, de modifier ces desseins grâce à une connaissance intime de Ses intentions.
La “Protennoia Trimorphique” nous informe, succinctement, comment Sophia, après être devenue la Terre, offre une opportunité spéciale à l’humanité. Elle «introduit la lumière baptismale illuminatrice des Cinq Sceaux». Cela signifie qu’à partir de la lumière originelle du Plérome qu’Elle était, et qu’Elle est encore – le courant torrentiel nougateux de la Lumière Organique que l’on peut rencontrer directement dans l’hyperception ou dans la conscience de transe – Sophia rend disponible une sorte d’extrait qui consiste en cinq potentiels ou facultés. Les Cinq Sceaux font certainement référence aux cinq sens, avec l’implication de quelque chose de scellé ou de secrété dans ces sens. Le langage est ici profondément mystique et a recours à une sorte de jargon interne aux Ecoles de Mystères. Les “sceaux” font également référence aux cinq facultés inhérentes au noos, l’intelligence divine. Ces facultés sont: l’extrapolation, l’auto-correction, l’orientation vers un but, la communication et la transmutation. Chacune de ces facultés est une extension ou une extrapolation de l’un des cinq sens:
– la vision: l’orientation vers une finalité; la prévision d’un but ou d’un résultat.
– l’ouie: l’auto-correction; l’écoute de la voix instructrice qui dit comment ajuster ce que l’on perçoit, exprime et expérimente; l’apprentissage intuitif.
– le goût: l’extrapolation; le passage du simple goût de quelque chose à la pleine expérience de l’ingérer, de la faire corps, de l’intégrer physiquement et mentalement.
– le toucher: la communication, verbale et non verbale, en tant que forme de connexion et d’empathie extatique.
– l’odorat: la transmutation, basée sur la lecture des signaux chimiques permettant de moduler et d’induire les changement biochimiques (voir l’épigénétique, la “biologie de la croyance”, et les hormones transductives déclenchées par le sens olfactif).
Le programme d’initiation des Mystères était mis en place pour générer et tester ces facultés chez le néophyte. Les Ecoles de Mystères étaient des universités de pratique des sciences noétiques, le développement d’un esprit co-évolutif. De nos jours, cette pratique émerge de nouveau dans le Tantra Planétaire avec son paradigme d’amplification tellurique des cinq sens représentés par cinq dakinis de Ciel de Diamant dans l’étoile vajra du Nexus des Shaktis.
La Déesse ne sera capable de «restaurer ses membres dans la lumière» que si les humains revendiquent et cultivent ce don Sophianique. En d’autres mots, ce que Sophia réalise au travers de l’humanité est en quelque sorte crucial pour redévelopper la connexion de Ses propres facultés (“membres”) au Plérome. C’est ce que les Gnostiques enseignaient quant à l’implication humaine dans Son processus de “rédemption”. Le terme des Ecoles de Mystères pour cela est “correction”. “L’Apocryphe de Jean” dit: «Et notre Soeur Sophia est celle qui descendit dans l’innocence afin de corriger son défaut». (CNH II, 1, 23).
Ce processus est appelé, dans un autre passage, la “rectification” de Sophia. L’humanité est en quelque sorte profondément impliquée dans le processus de réalignement de Sophia avec le Plérome. (Voir le terme “correction”, dans le Lexique, pour plus d’information sur cette perspective fantastique). En bref, le thème de la correction constitue l’enseignement suprême de la vision Sophianique, la cosmologie rédemptrice des Gnostiques. La narration sacrée des Mystères offre le prototype de la notion actuelle de transformation planétaire: le réalignement de Sophia avec le coeur galactique, le Plérome.
Une Révélation Ouverte
En fonction de tout cela, qu’allons nous faire des proclamations obscures du codex XIII? A dire vrai, il n’existe presqu’aucun contenu cosmologique dans la “Protennoia Trimorphique”! Le texte est constitué de notes brutes à propos d’un “discours de révélation” dans lequel un visionnaire Gnostique rappelle ou récapitule la descente de la Déesse, mais d’une façon abstraite. Les phases de l’engagement de Sophia dans le royaume extra-Pléromique sont décrites mais ce ne sont pas vraiment des épisodes cosmologiques très précis. Le discours doit être transposé en imagination afin de générer une histoire cosmologique emprunte de sens.
De telles révélations ont été appelées des “récitals visionnaires” par Henri Corbin, un érudit du mysticisme Soufi dont l’oeuvre très connue est “L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabî”. Corbin créa le terme “imaginal” pour mettre en valeur que ce que le mystique authentique perçoit n’est ni imaginé (c’est à dire faussement inventé) ni simplement imaginaire (un produit de l’activité psychique, dissocié du monde réel). Il ou elle perçoit une “réalité” visionnaire plutôt qu’une “réalité” sensorielle.
Plusieurs textes des Codex de Nag Hammadi sont des récitals visionnaires qui pourvoient des épisodes essentiels du Mythos de Gaïa. Ces textes représentent probablement des transcriptions de notes prises par des étudiants lors de causeries données par des initiés qui rapportèrent leurs expériences vécues dans des états altérés de conscience. Les notes permettaient, sans doute, aux classes de nouveaux étudiants (les néophytes) de “revoir” ce que leurs enseignants perçurent lors d’états visionnaires, afin de se préparer à l’exploration de ces états par eux-mêmes. “Revoir” signifie littéralement re-voir. Lorsqu’elle était couronnée de succès, l’instruction des néophytes les amenait à re-voir ce qui avait déjà été contemplé et transmis par leurs enseignants. Chaque re-vue était cohérente avec l’expérience initiatique et, en même temps, enrichie d’un nouveau contenu car la manifestation du Divin à l’esprit humain est une révélation ouverte et dynamique. D’où le projet de co-évolution du Gnosticisme.
Les ennemis des Gnostiques les accusèrent d’écrire trop d’ouvrages et d’inventer moult complications pour expliquer le cosmos et la condition humaine. Les ennemis des Gnostiques rejetèrent la possibilité d’une révélation riche et en évolution permanente. Pour les Pères de l’Eglise, la révélation du Dieu Paternel au travers de Jésus-Christ était un événement unique et, pour eux, l’histoire était simple et fixée. (Une profonde analyse prouve que c’est tout le contraire mais c’est une autre histoire). Comme la voie Gnostique laissait la révélation ouverte, ses praticiens étaient engagés dans un processus permanent de re-découverte et de ré-imagination qui embrassait tout le cours de l’évolution. Ils avaient accès à la “mémoire cosmique” afin de revoir, en permanence, la descente de la Déesse Sagesse et d’affiner leur compréhension de la façon dont l’humanité émergea dans Son Rêve et dont nous sommes impliqués dans Sa “correction”.
Etre d’orientation Gnostique, aujourd’hui, signifie pour chaque être humain de contribuer personnellement à ce processus de ré-imagination.
Puissance Erotique
Les détails cosmiques du Coco de Mer, l’icône du Mythos de Gaïa, dépeignent le Rêve originel de Sophia. Dans les épisodes 5, 6 et 8 du Mythe de Gaïa, nous voyons les conditions qui ont prévalu avant que Sophia ne plonge au-delà du Plérome, en emmenant avec Elle Son Rêve dans le monde inférieur. Pour résumer brièvement ces épisodes:
L’épisode 5 décrit comment Sophia agissait au sein du Plérome, en couple avec un autre Eon, Christos, afin de préparer l’émanation de la singularité et de générer un nouveau monde existentiel dans les bras extérieurs de la galaxie.
Dans l’épisode 6, une frontière sacrée est définie et scellée afin que les Eons puissent rester dans le coeur pendant que leurs émanations se déversent vers l’extérieur comme le jet de lumière d’un phare. Il en résulte une émanation mortelle, Atu Kadmon – l’archétype de l’espèce humaine. Il est déposé dans un nuage moléculaire de la troisième zone des bras spiralés, dans la Nébuleuse d’Orion.
L’épisode 8 décrit combien Sophia est fascinée par cet archétype. Alors que les douze autres Eons, qui modèlent cette limite, se retirent au coeur du Plérome, Elle, le treizième Eon, reste à la frontière, en contemplant vers l’extérieur cette émulsion lumineuse qui flotte dans les bras galactiques. Elle est éventuellement attirée au travers de la membrane enveloppant le coeur galactique et la Déesse “tombe”.
Il nous faut maintenant tenter d’imaginer ce que Sophia rêve quand Elle contemple la matrice d’Atu Kadmon, l’Anthropos, le génome humain, avant Son plongeon. Alors qu’Elle est encore dans les limites propres du Plérome, Elle génère le Rêve d’un monde à venir. Cependant, Elle le fait d’une façon anormale, par Elle-même, sans former un couple et sans partager sa vision avec un autre Eon. Cela n’est pas une violation, mais c’est une divergence par rapport aux opérations habituelles de la “loi cosmique”. «Car selon la volonté de l’Originateur, il n’est pas permis de réaliser quoi qui ce soit dans le Plérome en dehors d’une syzygie» (ce qui signifie, accouplement). La volonté de l’Originateur ne contraint pas les Générateurs, les Eons, qui restent toujours libres d’agir sans contrepartie.
La Déesse Eonique Sophia ne possède pas de contrepartie sur Terre, ou dans les sphères planétaires, et c’est pour cela que l’accouplement sexuel assume une fonction particulière dans son Rêve. Chez l’espèce humaine, l’union des sexes n’est pas déterminée par un plan cosmique ou restreinte à des fonctions de procréation. De par la fait qu’il soit libéré d’impératifs biologiques, le désir sexuel chez les êtres humains peut être créativement impliqué dans les desseins de Gaïa. Son Rêve est empreint d’une puissance érotique intense.
Le coco de mer dépeint graphiquement le système de monde tripartite que Sophia eut originellement l’intention d’émaner: la protennoia trimorphique. C’est également une métamorphose naturelle du pelvis de la femme. En Inde, lorsque les cocos de mer s’échouent sur le rivage, ils sont conservés dans les temples comme des icones sacrés de la vulve de la Déesse.
Imaginons qu’au moment originel de Son Rêve, Sophia prévoit un système de monde qui pourrait émerger pour l’Anthropos, l’espèce humaine, mais ce n’est pas, en fait, le système de monde qui émerge à partir de Sa descente. C’est ce que signifie l’étrange enseignement Gnostique: «Le monde émergea au travers d’une erreur» (cité également ci-dessous).
Le texte de la Protennoia Trimorphique, ainsi que d’autres textes et les paraphrases polémiques, s’accordent tous sur un point crucial: lorsque Sophia plonge du Plérome, les effets qu’Elle produit dans la matière élémentaire sont étranges et inattendus. Elle a une vision initiale de l’ordre d’un monde, il est vrai, et il est probable qu’Elle la retienne durant Sa descente; cependant, le système de monde, dans lequel Elle s’emmêle, ne reflète pas entièrement et de façon cohérente Son moment originel de Rêve. La Protennoia Trimorphique de Sophia, l’intention primordiale tripartite de Son Rêve, fut perturbée par des conditions imprévisibles à l’extérieur du coeur Pléromique.
Dans Son Rêve solitaire, Sophia imagina un ordre de monde tripartite au loin dans les bras galactiques – un système planétaire constitué d’une étoile, d’une planète et d’une lune, mais ce ne fut pas le système qui émergea de Sa chute. C’est “l’Evangile de Philippe” qui contient cette phrase célèbre décrivant ce développement étrange: «Le monde émergea au travers d’une erreur» (CNH II, 3, 75.1).
Haute Etrangeté
Cette phrase, très souvent citée, a été utilisée contre les Gnostiques qui sont accusés de haïr et de rejeter le monde matériel (la Nature, la Terre) parce qu’ils le considèrent comme une création inférieure et défectueuse. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Tout au contraire, je suggèrerai que c’est ce caractère erroné de notre monde, sa déviation par rapport au Rêve originel de Sophia, qui a impulsé les Gnostiques à communier avec la Terre et la Déesse qui s’y est incarnée. Percevant les événements cosmiques, dans une vision émotionnellement chargée, ils prirent conscience que la chute de Sophia La rendait sujette à des forces gravitationnelles qui ne s’appliquent pas aux flux Eoniques sans masse et de haute porosité dans le Plérome. Jacques Laccarière écrit: «Ce qui les hante (les Gnostiques), c’est la prise de conscience intolérable que cette matière inhibitrice est le résultat d’une erreur, une déviation dans l’ordre cosmique».
La phrase de “l’Evangile de Philippe” pourrait être appelée une proposition de “haute étrangeté”. Cette expression est souvent appliquée à la problématique des OVNI/ET et il peut s’avérer pertinent de l’utiliser également pour les enseignements Gnostiques. Dans la postface de l’édition 1996 de “Nag Hammadi Library in English”, l’érudit du Gnosticisme, Richard Smith, compare les visions de la cosmologie Gnostique à de la science-fiction et corrèle le Mythe de Sophia à de nombreux ouvrages et films de ce genre.
Parmi d’autres, il cite Philip K. Dick dont la “Trilogie de Valis” est une nouvelle version du scénario de la Déesse Déchue. Philip K. Dick, lui-même, attribua son implication dans le mythe de Sophia à une expérience mystique qu’il vécut en mars 1974, à l’âge de 46 ans, lorsqu’un rayon de lumière libéra une quantité massive d’information dans son esprit. Cette expérience est cohérente avec l’illumination Gnostique produisant le “récital visionnaire”. Philip K. Dick coucha son expérience sur le papier en un texte de 200 000 mots qu’il appela “The Exegesis” et qui n’est pas encore publiée.
Durant tout le développement de la Trilogie de Valis, Philip K. Dick explore la question de savoir comment la sagesse de Sophia peut s’exprimer dans le monde déchu qu’Elle a engendré, libérant ainsi les humains de leur perception dénaturée de la réalité. Philip K. Dick était convaincu que la gnose est une connaissance spéciale de notre état illusoire qui révèle l’étendue de notre déviance. Dans Valis, il tente de montrer que seule la Gnose peut nous sauver d’être les victimes, sinon les instruments, des structures démentes et malsaines de comportements qui se manifestent en nous et autour de nous, non pas parce que nous sommes pécheurs par nature mais parce que nous sommes ignorants de notre nature authentique.
La cosmologie Gnostique comprend quelques propositions, à l’étrangeté outrancière, qui peuvent servir de magnifiques canevas de science-fiction. La “haute étrangeté” est peut-être ce dont nous avons réellement besoin pour accéder à la vérité ultime quant à la condition humaine sur cette planète troublée.
Hologramme de Double Origine
Le Rêve originel de Sophia, d’un monde à l’extérieur du Plérome, persista alors même que le système de monde dans lequel Elle vint à s’emmêler n’était pas celui qu’Elle imagina en premier lieu. Par conséquent, Elle finit par vivre dans les deux systèmes à la fois. Et l’humanité enracinée sur Terre, une des souches de l’incarnation de l’Anthropos, est en plein dedans, avec Elle.
Philip K. Dick décrivit le scénario étrange à deux mondes des Gnostiques dans la métaphore brillante d’un “hologramme à double origine” (Valis, page 178). Les hologrammes (ou holographes) sont des quasi-objets produits par une configuration de rayons laser et de miroirs qui projettent en trois dimensions une image plate enregistrée sur une plaque. Imaginez l’hologramme d’une maison, projetée à partir d’une image sur une plaque, que l’on surimpose à un autre hologramme d’une maison similaire, mais de structure différente, projetée à partir d’une autre plaque. Les deux hologrammes fusionnent en produisant un environnement dont les habitants peuvent s’avérer désorientés sans savoir pourquoi. Il se peut qu’ils ressentent à la fois, par exemple, appartenir et ne pas appartenir à cet environnement. Sous certains aspects, ils se sentent à la maison mais sous d’autres aspects, ils font subir à leur habitat des choses qui sont antinomiques avec leur survie au sein de cet habitat même. Pour le moment, il n’est nul besoin de développer cette analogie.
Avant Son plongeon, Sophia imaginait un monde à l’extérieur du Plérome, la “Pensée Originelle Trimorphique”. C’est l’ordre de monde qu’Elle voulut avant de chuter dans le chaos. C’est un système composé de trois éléments: une étoile (soleil), une planète et une lune, le satellite de la planète. C’est l’exemple le plus simple d’un système de monde qui puisse émerger à l’intérieur des lois connues des physiques cosmiques. La planète requiert un satellite en tant “qu’éclaireur”, ou armature, afin qu’elle puisse développer des conditions de vie qui ne seront pas subjuguées par la force gigantesque du corps solaire, l’étoile-mère. L’ordre de monde, ainsi produit, est similaire à une gourde, avec le soleil et la lune formant l’épiderme du système et la planète (Terre) la pulpe juteuse – ainsi que l’icône du Coco de Mer le montre. (L’analogie de la gourde est un trope cosmologique qui possède un rôle explicatif dans d’autres contextes également. Dans “Sacred Land, Sacred Sex, Rapture of the Deep”, Dolores LaChapelle a décrit comment la gourde peut être considérée comme le premier instrument des activités civilisatrices de l’humanité).
L’ordre du monde, prévu par Sophia, au moment originel où Elle contempla à partir du coeur galactique, vers les bras spiralants, ne s’est pas manifesté mais Sa vision orignelle n’a pas failli. En dépit du système de monde déviant qui émergea à la suite de Sa chute, la vision originelle non corrompue de Sophia persiste et permet d’envisager une correction du système de monde dans lequel nous demeurons. La correction est achevée, en partie, par la co-évolution humaine avec les desseins de Gaïa. C’est l’essence de l’enseignement Gnostique concernant la cosmologie rédemptrice.
Le Coco de Mer est un symbole qui à la fois déclenche et ancre la mémoire de cet enseignement. De le savoir et d’en faire l’expérience imaginalement, et avec empathie, nous engage dans la correction de Sophia. Notre responsabilité envers la Terre dépend de notre implication dans une vision supraterrestre – notre implication totale, expérientielle et même viscérale. Comme le protagoniste de Philip K. Dick le dit à propos de la notion étrange d’hologramme à deux origines: «Mais de le penser intellectuellement est une chose et de découvrir que c’est vrai en est une autre!» (Valis, page 179).
Les Gnostiques enseignèrent que le cosmos, dans lequel nous demeurons, vint à exister à la suite d’une erreur, d’une anomalie et ils enseignèrent que nous sommes impliqués dans les voies de sa correction. L’icône du Coco de Mer nous recentre dans le Rêve de Sophia afin que nous puissions croître dans la compréhension de notre rôle dans le réalignement cosmique de Gaïa, Son chemin de retour vers Sa source.
Le Monde à Trois Corps
En visualisant le monde à trois corps, nous nous orientons imaginalement vers le Rêve de Gaïa. Cette image nous rappelle qu’il nous faut distinguer la Terre du reste du système planétaire. Les textes Gnostiques font toujours référence au cosmos (kosmos en Grec) comme étant distinct de la Terre elle-même (ge en Grec). (Dans les deux cas, les termes Coptes sont des transcriptions directes des mots Grecs). Le kosmos, produit par l’impact initial de Sophia dans le royaume de la matière élémentaire, n’est pas la planète, dans laquelle nous demeurons, notre maison; ce n’est pas la planète Terre car la Terre a été formée séparément du reste du système planétaire. C’est un concept fondamental de la cosmologie Gnostique. C’est, bien sûr, un non sens complet en termes scientifiques. C’est une “haute étrangeté” vêtue d’un voile mystique de fantaisie. Prenons un peu de temps pour explorer cette notion étrange et voir où elle nous mène.
“L’erreur” citée dans “l’Evangile de Philippe” ne fut pas l’acte solitaire de Rêve par l’Eon Sophia mais l’impact imprévisible de Son plongeon du Plérome. Sa descente tumultueuse, dans les bras galactiques, généra des conditions qui résultèrent en l’émergence d’un système planétaire distinct de la Terre. C’est le kosmos dans lequel nous demeurons, le domaine des Archontes qui émergèrent en premier, avant la Terre. Dans le langage de la science matérialiste, le cosmos à l’extérieur de la Terre est le domaine de la chimie inorganique. Un des grands mystères pour la science est l’émergence de l’organique, l’émergence du vivant à partir de l’inorganique, du non-vivant. (Theodore Roszak cite une version anonyme de la cosmologie moderne: «L’hydrogène est un gaz léger et sans odeur qui, si on lui donne le temps, se transforme en personnes». Dans Alexandria 5, page 103).
La question de savoir comment la vie a émergé de la non-vie peut être répondue assez directement en termes Gnostiques, mais elle a besoin d’être reformulée car ce n’est pas vraiment la bonne question. La question adéquate est la suivante: quelle est la relation entre les structures vivantes de la chimie inorganique et les structures de la vie organique? Cela équivaut à poser la question: Quelle est la relation entre les Archontes, qui sont des êtres inorganiques, et les êtres humains, qui sont des êtres organiques?
Une grande partie des écrits Gnostiques traitait de cette problématique de deux niveaux de vie, organique et inorganique, Terrestre et Archontique, et pourtant le sujet des Archontes est complètement négligé par les érudits du Gnosticisme. Il n’est même pas rejeté comme étant un non-sens superstitieux: il est tout simplement passé sous silence, il n’est pas digne de leurs commentaires.
En faisant une distinction rigoureuse entre la Terre et le système planétaire extra-terrestre, les Gnostiques proposaient un modèle conceptuel de mondes organiques et inorganiques. Le système planétaire, en tant que tel, le cosmos, ne pourvoit pas un espace en lequel l’humanité puisse vivre: nous n’avons que la planète Terre pour notre maison. Tout cela corrobore les phénomènes de l’astronomie et de la biologie tels que nous les comprenons aujourd’hui. Jusqu’à maintenant, la théorie outrancière transmise par la petite phrase de “l’Evangile de Philippe” véhicule une information raisonnable. Elle fait parfaitement du sens en fonction de ce que nous connaissons des physiques du système solaire. Le piège, c’est que l’astronomie moderne ne conçoit pas que la genèse de la Terre pût avoir été différente de celle des autres planètes.
L’Hypothèse Gaïa, connue maintenant plus communément sous le nom de Théorie Gaïa, émergea en 1976 avec les réflexions de James Lovelock sur le contraste entre l’atmosphère dépourvue de vie de Mars et l’atmosphère emplie de vie de la Terre. La Théorie Gaïa ne peut pas remplacer l’histoire-vision de Sophia. C’est, cependant, un homologue fiable du Mythe Sophianique qui fait la distinction entre le système solaire sans vie et la trinité porteuse de vie, Terre-Soleil-Lune. La cosmologie Gnostique est visionnaire et mythique, non point scientifique dans le sens moderne du terme, mais, comme nous le verrons, on peut en extraire de nombreux éléments scientifiques compatibles avec l’écosophie de Gaïa.