Lexique de l’ouvrage Le Paradis Reconquis

Mort de l’Ego

La mort de l’ego est l’expérience de dissolution momentanée de l’ego personnel, ou du sens de l’identité habituelle et fixée, qui est typiquement vécue lors d’initiations shamaniques et d’états de transe induits par la méditation, le sexe Tantrique, la danse extatique et l’ingestion de champignons et de plantes psychoactives – ou une combinaison de tout cela, si cela vous sied.

La joie et la terreur de tout psychonaute est de mourir avant de mourir, de passer par la dissolution de l’identité personnelle dans un état altéré. La sensation de mort de l’ego peut être intense au point d’être quasiment un sentiment de mort réelle et physique. Les apparitions démoniques apparaissent lorsque l’ego se dissout.

Que devons nous penser de ces entités féroces (de ces apparitions, à dire vrai) qui apparaissent à la personne dont l’ego se dissout? C’est ici que la croyance joue un rôle décisif dans l’expérience visionnaire shamanique. Les apparitions correspondent à ce que croit le psychonaute mais elles peuvent soit se conformer aux croyances de l’expérimentateur soit les faire éclater. Si, par exemple, la personne qui passe par la mort de l’ego croit que les entités démoniques perçues sont capables de la tuer, elles peuvent en effet la tuer. Le résultat serait une mort auto-provoquée mais cela n’arrive que rarement car les démons protecteurs sont bienveillants et ne seraient pas enclins à laisser la situation évoluer dans cette direction.

Ceux qui ne sont pas préparés à vivre la mort de l’ego en seront écartés de par leur panique et, ainsi, l’expérience même est protégée des intrus et des “voyageurs” irresponsables.

Dans l’ouvrage “The Psychedelic Experience”, trois professeurs d’Harvard (Richard Alpert, Timothy Leary et Ralph Metzner) mirent en valeur une analogie brillante entre la mort de l’ego et la mort physique. Ils le firent en paraphrasant “Le Livre Tibétain de la Mort”, un manuel qui doit être lu à une personne en train de décéder, ou à un décédé, pour l’aider à passer au travers des bardos (zones de transit) de l’après-mort. Après avoir réalisé des expériences cliniques avec le LSD, et après en avoir ingéré eux-mêmes, ils étaient conscients que le début du “voyage à l’acide” implique généralement un sens distinct de la mortalité. Lorsque le LSD commence à faire ressentir ses effets, le sujet commence à penser qu’il ou elle va mourir. Les trois shamans universitaires prirent conscience que l’expérience de mort physique décrite par phases, dans les manuels Tibétains, s’appliquait aussi à la mort de l’ego sous l’influence du LSD. Ils écrivirent “The Psychedelic Experience” comme un guide de dissolution de l’ego.

L’instruction transégoïque est subliminale. Les plantes instructrices font baisser le seuil de résistance à l’influx “d’information” au travers des organes des sens. Dans son expérience spontanée de “conscience cosmique”, le mystique Allemand Jacob Boehme décrivit comment il était capable de “lire la signature de toute chose”.

 

Psychonaute

“Celui qui navigue la psyché”. C’est un terme proposé par Ernst Junger, un écrivain et chercheur Allemand en substances chimiques psychoactives, et un ami et collègue d’Albert Hofmann, le découvreur du LSD. Jonathan Ott utilise un terme dérivé, “la psychonautique”.

Je pense que “psychonaute” est un terme heureux et plus particulièrement lorsqu’on le juxtapose avec “cybernaute”. L’évolution future de l’espèce humaine va, peut-être, dépendre de la différence entre les activités de ces deux types d’explorateurs. J’appliquerais le terme de Junger à tous ceux qui explorent la psyché du monde, Anima Mundi, au travers de l’usage rituel de plantes psychoactives, ou de plantes instructrices sacrées, comme on les a traditionnellement appelées. La psychonautique est orientée vers la Nature, la Mère qui nous engendre tous, tout autant que vers la nature humaine, le potentiel unique à notre espèce. Lorsque le potentiel humain est identifié et développé, des siddhis émergent. Ce sont des facultés psychiques, des capacités de perception accrue (“hyperception”) incluant la clairaudience, le mouvement spontané et le rêve lucide. Ces facultés ne sont cependant qu’accessoires. La finalité essentielle de la psychonautique est de développer la sagesse et la perception qui permettent aux êtres humains de co-évoluer avec Gaïa et avec la myriade d’espèces.

La pertinence de la psychonautique eu égard à la Gnose est patente. J’ai proposé de définir la Gnose – dans sa forme authentique et pré-Chrétienne – comme la théorie et la pratique des sciences noétiques. C’est de là que procède l’équation: psychonautique = psychonoétique. Les Gnostiques ne s’appelaient pas eux-mêmes de ce nom, cependant, car le terme Gnostikos était utilisé comme une insulte signifiant “ceux qui savent tout, les ânes savants”.

Ils se nommaient les Telestes “ceux qui connaissent le but, le Telos”. Dans les Ecoles de Mystères, dont les Gnostiques étaient les instructeurs et les guides, (On pourrait les comparer à un “collège de doyens”), la finalité de l’enseignement et de l’apprentissage était de produire de la culture à partir d’une connaissance illuminée. Les Gnostiques étaient en quête d’initiation et la transmettaient aux autres afin de se consacrer à l’éducation supérieure de l’humanité.

Dédiés à la Magna Mater, les Gnostiques initiaient leurs néophytes dans les mystères de la Nature Sacrée mais ils les guidaient à appliquer ce qu’ils apprenaient, au travers de l’illumination, dans la sphère de la culture. Ceux qui étaient initiés dans les Ecoles des Mystères étaient ainsi les éducateurs du monde classique. Ils enseignaient dans tous les domaines essentiels à l’élaboration de la culture: mathématiques, géométrie, musique, astronomie, architecture, médecine, etc. Chacune des Ecoles des Mystères était la matrice de nombreuses guildes dans lesquelles des personnes non-initiées étaient enseignées. La dernière floraison de ce système s’épanouit au 12ème siècle avec la construction des cathédrales Gothiques mais le concept, selon lequel les “métiers” possèdent une origine initiatrice et sacrée, perdura au cours des siècles suivants. (La Grande Place de Bruxelles, non loin de là où j’écris ces lignes, est unique dans son déploiement d’art iconique soulignant l’origine initiatrice des corps de métiers. De nombreux ouvrages ont été écrits sur le symbolisme ésotérique de ce décor).

Il est toujours indispensable de discerner entre le résultat de l’initiation et son telos, ou sa finalité. (J’ai originellement souligné cette distinction dans mon ouvrage “The Seeker’s Handbook”, publié en 1991). Pour les Gnostiques de l’antiquité, le résultat de l’initiation était la réalisation de facultés “divines” ou siddhis (d’où “déification”, un terme qui a été faussement interprété) mais la finalité était d’appliquer ces facultés pour enseigner la culture et guider la société humaine. Tout en étant profondément enracinés dans l’adoration mystique de la Déesse, les adeptes des Ecoles de Mystères considéraient le monde humain comme le terrain de la mission qu’ils s’étaient eux-mêmes assignée.

J’estime que la situation pour les psychonautes d’aujourd’hui est à l’inverse de la norme qui prévalait dans l’antiquité. La tendance de l’expérience illuminée aujourd’hui est de s’éloigner de la culture et de retourner vers la Nature Sacrée. Il s’agit d’un retour vers la Déesse que nous connaissons maintenant en tant que Gaïa. Vivant dans une société démente, les psychonautes modernes ne peuvent pas se focaliser à engendrer de la culture parce qu’il n’existe ni l’intelligence ni l’inclination à l’accepter. Ce serait du gâchis, pour ne pas dire du suicide. (La vie d’Antonin Artaud est l’illustration d’une telle erreur. Une vie parmi plusieurs que nous pourrions citer).

Par opposition, les cybernautes croient qu’ils sont impliqués dans les aspects les plus avancés de la culture et qu’ils sont engagés dans des activités décisives de “construction de culture” pour le futur. De nombreux cybernautes ont recours à des drogues (que l’on peut distinguer de champignons et de plantes psychoactives) avant de se connecter aux ordinateurs ou de se ligoter dans une machine à réalité virtuelle, tout en croyant qu’ils explorent les régions les plus éloignées de l’univers.

Bien qu’une grande partie de ce qui se dit, quant au potentiel de l’informatique de dominer le monde humain, ne soit que du pur baratin, la croyance en ce baratin s’auto-réalise – si tant est que l’on puisse qualifier la psychose et la désincarnation comme des expressions de réalisation humaine. L’obsession cybernétique peut s’avérer être le scénario de fin de partie pour notre espèce: la voie rapide par laquelle nous nous éjectons de l’histoire de Gaïa.

D’où l’opposition fondamentale entre les psychonautes et les cybernautes: les premiers quittent la culture et retournent vers la matrice du Mystère de la Terre, tandis que les seconds se précipitent dans le vide culturel de l’Artificiel, la zone des Archontes.

Comme Dale Pendell le dit dans son ouvrage “Pharmacopoeia”: «En dépit des fractales et des roses logarithmiques, les plantes ne poussent pas dans l’espace cybernétique».

 

Thèse de Gordon Wasson

C’est une théorie historique formulée par R. Gordon Wasson qui proposa que la base expérimentale de toutes les religions était l’usage sacramental de champignons ou de plantes sacrées, telles qu’Amanita muscaria et Psilocybe mexicana (“champignons magiques”). Cette théorie est également appelée la “théorie enthéogénique de la religion”.

Wasson (1898-1986) travailla comme journaliste et analyste politique avant de devenir un banquier d’investissement avec J. P. Morgan, avec lequel il resta jusqu’en 1963. Son premier ouvrage “The Hill Carbine Affair” (1941), dans lequel il chroniqua diverses versions d’une rumeur selon laquelle J. P. Morgan vendit des fusils défectueux à l’armée US durant la guerre civile, a été décrit comme un “ouvrage analysant le développement du mythe historique”. Chez Wasson, son intérêt naissant pour le mythe allait s’amplifier énormément dans des écrits subséquents lorsqu’il investiga les connaissances liées aux champignons et aux plantes mystiques émanant de diverses traditions.

Son intérêt pour les champignons fut éveillé par son épouse originaire de Russie, Valentina, lors de leur lune de miel dans les Catskills en 1926. L’histoire, relatant comment la passion de sa femme pour les champignons le transforma de mycophobe en l’un des mycophiles les plus influents au monde, fait maintenant partie du folklore planétaire.

Dans la parution du mois de Mai 1957 du magazine Life, Wasson publia, comme épisode de sa série de Grandes Aventures, un article sur la “Quête des Champignons Magiques”. Il relate son expérience, partagée par son épouse Valentina et des collaborateurs, d’une velada (cérémonie de champignons) conduite par la shamane Mexicaine Maria Sabina à Huautla de Jiminez, un petit village dans les montagnes au coeur du Mexique. Durant les trente années restantes de sa vie, Wasson écrivit de nombreux articles d’investigation et publia, à compte d’auteur, plusieurs ouvrages sur les champignons psychoactifs dont son chef d’oeuvre “Soma: Divine Mushroom of Immortality” (1968). Avec Albert Hofmann (le chimiste Suisse qui découvrit le LSD) et Carl Ruck (un professeur d’Etudes Classiques à l’Université de Boston), il écrivit “The Road to Eleusis” (1978), proposant que le kykeon consommé dans les Mystères d’Eleusis, de la Grèce antique, était un breuvage à base du champignon psychoactif, Claviceps purpurea, de l’ergot fermenté, la base chimique du LSD. Son dernier ouvrage “Persephone’s Quest” (1986) écrit avec Ruck, Stella Kramrisch (Indologiste à l’Institut des Beaux Arts de l’Université de New York) et Jonathan Ott, psychopharmacologue de renommée mondiale, peaufine “la Thèse Wasson”.

La Thèse Wasson se développa en trois phases, une progression qui se reflète dans les ouvrages qu’il rédigea: premièrement, la découverte du culte du champignon sacré en Amérique centrale; secondement, l’identification du champignon psychoactif, Amanita muscaria, avec le Soma Védique; et troisièmement, la description de la potion sacrée des Mystères d’Eleusis, le kykeon, comme un breuvage psychédélique.

Durant chaque phase, Wasson un amateur déclaré, travaillait étroitement avec des experts respectés et de renommée mondiale tels que le chimiste Albert Hofmann, découvreur du LSD, et le botaniste Richard Evans Schultes, professeur de biologie à l’Université d’Harvard et Directeur Emeritus du Museum Botanique d’Harvard. Wasson correspondit avec le poète Robert Graves qui écrivit aussi sur le sujet des plantes psychoactives dans l’antiquité (“Food for Centaurs”) et Maria Gimbutas, l’archéologue de Lithuanie dont l’oeuvre pourvoit les fondements essentiels pour le renouveau de la Déesse. Il collabora avec l’anthropologue Weston La Barre et l’orientaliste Wendy Doniger. Les aspects visionnaires de la Thèse Wasson furent étroitement suivis et soutenus par Aldous Huxley.

Bien qu’il ne prétendit jamais être un expert académique, mais simplement un amoureux des livres et des champignons, Wasson, au fil des années, en vint à être très hautement estimé par la monde académique. Ses ouvrages, produits à titre personnel, étaient des chef d’oeuvres artistiques, rédigés dans un style élégant et engageant. “Soma: Divine Mushroom of Immortality” est mondialement reconnu comme un chef d’oeuvre littéraire. Wasson était réputé être un chercheur infatigable et rigoureux. A sa mort, ses ouvrages et ses dossiers furent confiés à l’Université d’Harvard et constituent maintenant la Collection Ethnomycologique de Tina et Gordon Wasson dans le Museum Botanique d’Harvard.

De nos jours, la Thèse Wasson continue d’être développée, testée et développée par des psychonautes tels que Ralph Metzner et Jonathan Ott, pour n’en citer que quelques uns. Dans les années 1990, Terence McKenna développa la première extension revue et cohérente de la vision de Wasson. La théorie et la pratique du sacramentalisme dans une perspective Gaïenne, développée au travers du site Metahistory, pourrait être considérée comme un développement de “troisième génération” de la Thèse Wasson.

Pour la meilleure introduction à l’oeuvre et aux associations de Wasson, voir l’ouvrage édité par Thomas Riedlinger, “The Sacred Mushroom Seeker”. Il contient des témoignages directs concernant la vie et l’oeuvre des Wasson.

Pour une vue d’ensemble des événements intellectuels et culturels essentiels corrélés à la Thèse Wasson, voir l’introduction de l’ouvrage de Ralph Metzner, “Teonanacatl”.

Pour un manifeste révolutionnaire de la “Réforme Enthéogénique” inspirée par la Thèse Wasson, voir l’ouvrage de Jonathan Ott, “The Age of Entheogens”.

Avec la description du Kykeon comme un breuvage psychoactif, Wasson associa les Mystères à la théorie enthéogénique de la religion. Metahistory prend le relais et élargit cette connexion en proposant que les Gnostiques étaient les instructeurs dans les Ecoles des Mystères. Il s’ensuit donc que le Gnosticisme, considéré comme une version formellement sophistiquée du shamanisme Indigène, aurait impliqué le recours à des champignons et à des plantes psychoactives durant les pratiques de mysticisme expérimental. Cette idée fut originellement proposée par le poète Robert Graves qui, lui-même, expérimenta avec les champignons magiques.

Bien qu’il semble qu’il n’y ait aucune référence directe ou indirecte à l’ingestion de champignons ou de plantes psychoactives dans la matière Gnostique, il existe une telle référence dans la mythologie Gnostique. Faisant allusion à la profonde connaissance du ciel parmi les Gnostiques, Jacques Lacarrière souligne que la secte des Paratae (“ceux qui passent au travers”) perçut dans la Constellation du Dragon l’image du Serpent primordial qui conféra la Gnose, la connaissance libératrice, à l’humanité. (“Les Gnostiques”, page 14). Dans le mythe Gnostique de la création, le Serpent dans le Jardin d’Eden n’est pas un tentateur ou un ennemi, ni le vil reptile qui trompe la première femme, mais le bienfaiteur qui transmet la sagesse illuminatrice à l’humanité originelle. Puisque le Serpent réalise cela en leur offrant un fruit mystérieux à consommer, on peut considérer que le mythe Gnostique s’accorde intimement avec la théorie enthéogénique proposée par Gordon Wasson.

Dans sa description de la révélation primordiale du Divin parmi les cultures shamaniques de la préhistoire, Wasson écrivit:

«C’est à partir de ce moment-là que la Religion naquit, une religion pure et simple, libre de Théologie, libre de Dogmatiques, s’exprimant avec révérence et contemplation, et à voix basse, principalement durant la nuit, lorsque les gens se rassemblaient pour consulter l’Elément Sacré. La première expérience enthéogénique pourrait avoir été le premier miracle authentique et, peut-être, l’unique miracle authentique».

 

Transe Visionnaire

L’état altéré du mental et des sens qui permet une connaissance supérieure spontanée au travers d’une corrélation entre l’intuition intérieure et une révélation extérieure et très sensorielle. Le mot “vision” vient de la racine Indo-Européenne weid-, source des mots en anglais, wizard, wisdom, witch… C’est également la racine du mot Sanscrit vidya “connaissance spirituelle” et Veda, enseignement sacrés.

Une transe visionnaire est une forme d’attention accrue par laquelle nous apprenons des choses extra-ordinaires au sujet de la Nature, du soi et du cosmos dans son ensemble. Il est relativement facile d’entrer en transe mais il est plus ardu d’y rester, semble-t-il. (Castañeda fit une observation similaire concernant le “point d’assemblage”: il est assez facile de le déplacer mais il est difficile de le maintenir dans la nouvelle position). La transe est, bien sûr, une pratique fondée sur le shamanisme dans toutes ses variantes planétaires. C’est la “technique archaïque de l’extase” (Eliade) par excellence. On peut l’atteindre, avec difficulté et beaucoup d’efforts, par la méditation; il est plus facile de l’atteindre grâce à l’ingestion de champignons et de plantes psychoactives. On peut la maintenir par des mudras (des gestes sacrés) et des danses, ou en développant des facultés de concentration qui ne flanchent pas sous l’impact de sensations extrêmement intenses. «La discipline est l’art de ressentir l’émerveillement empreint de révérence» (Castañeda en entretien avec Michael Ventura, vers 1987).

Dans la transe visionnaire, le shaman effectue une triple connexion: mental-corps-Nature ou mental-corps-Cosmos, si vous préférez. De par la mort de l’ego, les filtres qui conditionnent notre perception sont momentanément invalidés. L’identité personnelle peut être conçue comme une sorte de verrou qui maintient ces filtres en place. Lorsqu’ils se dissolvent, un déluge de signaux s’engouffre – “de l’information” en provenance de tout le cosmos. Il est risqué, et peut-être trompeur, de l’appeler de l’information parce que ce déluge consiste en un spectre d’impulsions vivantes, de signaux animés. Cette information est vivante, tout comme les cris de l’aigle et les chants de la baleine. Le Bouddhisme Tibétain présente de nombreux exemples de “divinités tutélaires” qui confèrent cette information, au travers d’enseignements, et qui en sont eux-mêmes des incarnations. La discipline de la transe visionnaire consiste à accorder une très grande attention à ce qui est enseigné.

Des moments de transe visionnaire peuvent se manifester spontanément, émergeant par un pouvoir qui leur est propre. Les deux illuminations de Jacob Boehme, décrites dans “Cosmic Consciousness” par Richard Maurice Bucke, en sont un exemple classique: «… Alors qu’il était assis un jour dans sa chambre les yeux fixés avec intensité sur un plat d’étain bruni, qui réfléchissait le soleil avec une telle splendeur magnifique qu’il plongea dans un état d’extase et qu’il lui sembla qu’il pouvait maintenant pénétrer dans les principes et les fondations les plus profondes de toute chose. Il croyait que ce n’était qu’une fantaisie et afin de l’effacer de son mental, il sortit dans le jardin. Mais il remarqua dehors qu’il contemplait le coeur même de toute chose, les plantes et l’herbe, et que la nature réelle s’harmonisait avec ce qu’il avait perçu de l’intérieur…

Enveloppé de lumière divine et régénéré de connaissance divine… il était assis et contemplant les plantes et les herbes des champs dans sa lumière intérieure, il pénétra dans leurs essences, usages et propriétés qui lui étaient dévoilés par leurs figures, leurs linéaments et leurs signatures» (Bucke).

Dans l’état de transe, l’intérieur et l’extérieur fusionnent et il n’existe plus de distinction claire entre ce qui est à l’intérieur du corps et ce qui en est à l’extérieur; malgré tout, le corps est là, intact et distinct. La convergence opère également au niveau cognitif, de telle sorte que les sens contemplent ce que le mental connaît: «et que la nature réelle s’harmonisait avec ce qu’il avait perçu de l’intérieur…»

L’expérience visionnaire est souvent clairaudiente: Boehme «reconnut (ce qui lui était apparu chaotique et diversifié dans des visions antérieures) comme une unité, comme une harpe avec beaucoup de cordes, dont chacune est un instrument séparé, alors que le tout n’est qu’une seule harpe. Il reconnut alors l’ordre divin de la nature…» Je pense qu’il serait raisonnable d’appeler cette description une version primitive de la “Théorie des Strings”. Ce que les scientifiques appellent aujourd’hui les “strings” (les cordes), qui composent l’ordre cosmique, sont des amas soniques ou des résonances qui peuvent en fait être entendus lors de transes visionnaires. La “Théorie des Strings” n’est que théorique alors que la science de Boehme était expérientielle.

D’autres exemples de transe visionnaire sont, par exemple, le samadhi de Swami Yogananda Paramahansa (“Autobiography of a Yogi”. 1945), l’Illumination Gnostique de Philip K. Dick en mars 1974 et la transmission des “Elégies de Duino” chez Rainer Maria Rilke.

Les Gnostiques amenèrent la méthode shamanique de transe visionnaire à un certain point en se concentrant sur le contenu surnaturel de la perception sensorielle. En effet, ils lisaient le code caché des processus de vie de Gaïa, “les signatures de la Nature”, pour emprunter une expression de Boehme. Ils étaient des “agents de l’intelligence planétaire” qui apprenaient directement de la Déesse Terre, la Magna Mater, afin qu’ils pussent enseigner la co-évolution avec Elle. Traditionnellement, les shamans se tiennent entre la Nature (ou le Nagual, l’Altérité Sacrée) et la société humaine et agissent comme des intermédiaires entre les deux royaumes mais les Gnostiques firent encore plus: ils conférèrent, à la société humaine, la connaissance et les outils, permettant d’élaborer de la culture, qu’ils recevaient du cosmos vivant en état de réception trans-égoïque. Pour eux, la transe visionnaire constituait une technique d’acquisition de connaissances supérieures.

Les Gnostiques étaient réputés pour une technique spécifique, la transe en position debout. C’était une méditation debout plutôt qu’assis. (C’est une grande différence qui explique le contraste entre la technique Bouddhiste, qui est statique et assise, et la technique Gnostique qui est dynamique et érigée. Ces postures génèrent des résultats très différents). Avec cette méthode, les Gnostiques se tenaient debout, et contemplaient la lumière (pas la lumière naturelle, mais le rayonnement organique qui devient visible en perception accrue) et ils se tenaient également tranquilles intérieurement afin de ne pas se laisser subjuguer par le déluge d’illumination. Ce faisant, ils étaient capables d’assimiler les signaux véhiculés par des vagues torrentielles de lumière vivante, “les grandes bandes d’émanations” de Castañeda. Au contraire, le psychonaute non qualifié va sans nul doute dériver dans des fantaisies ou succomber à des hallucinations qui sont des distorsions des signaux primordiaux d’instruction.

Les adeptes qualifiés, tels que les instructeurs des Mystères, étaient appelés “immuables” parce qu’ils ne permettaient pas que leur attention soit détournée par les distractions de l’hallucination, bien qu’ils fussent capables d’observer les hallucinations pour déterminer ce qui les produit. Les Gnostiques faisaient le voeu sacré de ne pas halluciner afin qu’ils pussent apprendre le plus possible de l’expérience visionnaire. Je propose le terme “sacramentale” pour qualifier la pratique de l’extase cognitive afin de la distinguer de l’utilisation récréative (“tripping”) de plantes psychoactives dans laquelle la fantaisie, la distraction et l’hallucination prédominent.