Perse-Anatolie-Syrie-Egypte-Jordanie. 4 ème siècle avant EC.
Moi, Lydia de Damas, je continue la nonuple récapitulation de mes vies passées. Je vais maintenant raconter mon “incarnation phare”, celle de cette séquence dont je tire mon “nom de plume” (en français dans le texte) dans ce monde présent, dans cette vie présente. N’importe quelle vie d’une séquence de neuf peut être cette incarnation phare. C’est le choix de la personne qui récapitule, mais non pas un choix arbitraire – un choix fondé sur l’inclination du destin.
Dans le langage des devins Sabéens de l’antique Parthie, l’inclination du destin est un événement céleste, un signe peu commun ou frappant, mais pas n’importe quel signe. Ceux qui contemplent le ciel observent continuellement comment les planètes se meuvent avec en arrière-plan les constellations, de gigantesques configurations d’étoiles qui ne se déplacent pas. Le terme “planète” vient du mot Grec “plané” pour “erreur, action erratique”; planète signifie vagabond. Les planètes sont les membres de notre système solaire qui se meuvent cycliquement au travers du panorama visible du Zodiaque. Les treize constellations du Zodiaque vont dans une séquence de droite à gauche, en formant une arche immense: Bélier – Taureau – Jumeaux, etc. Les planètes se meuvent d’ouest en est, en suivant la séquence. Il est aisé de différencier une planète d’une étoile en notant, en l’espace de quelques semaines d’observation, qu’elle change de position par rapport aux étoiles composant une constellation.
Mais les planètes ne se meuvent pas toujours selon ce mode, de droite à gauche dans le ciel lorsque l’on regarde vers le sud. Jupiter et Saturne (également Mars), en particulier, présentent une variation distincte en motion régulière. Parfois, il semble qu’ils se meuvent à l’envers de la séquence zodiacale. On appelle cela un mouvement rétrograde. Toutes les planètes du système solaire se caractérisent par des périodes rétrogrades, y compris Mercure et Vénus qui sont en rotation entre la Terre et le Soleil. Jupiter et Saturne ont des orbites amples et lentes, mais pas trop lentes au point que leurs périodes rétrogrades soient difficiles à observer. Ces deux planètes sont en motion rétrograde durant cinq mois chaque année. (En réalité, elles ne se meuvent pas à l’envers mais semblent le faire parce que la Terre sur son chemin orbital les dépasse et les fait paraître se mouvoir à l’envers – tout comme une voiture dépassée sur la route semble reculer par rapport au paysage).
Les gestes particuliers de Jupiter et de Saturne en motion rétrograde montrent l’inclination de la destinée. Seules ces deux planètes la montrent. L’inclination œuvre également simultanément dans la structure de vie d’une personne mais pas en raison d’une “influence planétaire”. Plutôt comme un signal. L’inclination peut opérer dans votre structure de vie avant que cela ne soit observé dans le ciel ou vice-versa. En ce qui me concerne, l’inclination émergea au travers d’événements en mai lorsque Jupiter entama une motion rétrograde (12 mai à ECL 292, 22° de Capricornus dans le zodiaque des signes). Peu après ce moment, je commençai à rechercher attentivement les signes célestes. C’est de cette manière que Lydia de Damas serait celle de mes neuf vies passées qui révélerait la séquence intégrale de neuf vies – le porte-parole de la séquence, pour ainsi dire. Ce choix émergea interactivement avec mes observations du ciel courant.
Le mouvement rétrograde de Jupiter est en ce moment aisément observable chaque nuit dans toutes les parties du monde. En l’espace de cinq mois, Jupiter va reculer jusqu’à une amplitude de neuf degrés, un déplacement clairement discernable. Ces neuf degrés complémentent les neuf vies que je raconte et favorisent ma récapitulation. Ils démontrent l’inclination de la destinée. Aucun acte concernant et évoquant le mystère émergent du cosmos ne peut être réalisé sans interaction avec le cosmos.
En ce moment, Jupiter rétrograde d’une région relativement dépourvue d’étoiles, appelée “le plus grand vide“. Cette région se situe entre l’Archer et le Chèvre-Poisson. Alors qu’il retourne au milieu des étoiles composant l’Archer, Jupiter va de nouveau repartir en “station directe”, à savoir le moment où il reprend son mouvement normal et où il se meut de nouveau dans le sens habituel de la séquence zodiacale (9 septembre 2008). C’est alors qu’il se trouvera haut dans le ciel, au zénith, deux heures après le coucher du soleil. L’observation à l’œil nu montrera que Jupiter en station directe est très proche d’une étoile brillante dans l’Archer appelée Nunki (ECL 283, 13° de Capricornus dans le zodiaque des signes). Les anciennes cartes astronomiques de la Mésopotamie désignent Nunki comme “l’étoile marquant la penne de la flèche de l’Archer”, la plume qui guide son vol. La corde passe dans la penne et l’Archer pince la flèche à la penne pour viser. La prise de la penne contrôle à la fois la direction et la tension de la flèche.
Les astronomes Sabéens de mon lignage appelaient Nunki “la Proclamation de la Mer”. C’est l’un des plus anciens noms d’étoiles qui aient survécu. La “Mer” est le tourbillon galactique, la galaxie spirale en laquelle nous demeurons. C’est une spirale lenticulaire à quatre bras d’environ 120 000 années-lumière de diamètre et 7000 années-lumières d’épaisseur qui est composée de cinq cent milliards d’étoiles. Notre système solaire est localisé dans le troisième bras, vers l’extérieur, à environ 25 000 années-lumière du cœur galactique. Dans le déploiement graphique du Zodiaque, l’extrémité de la flèche de l’Archer marque la direction vers le centre galactique. L’Archer vise le cœur de la galaxie. L’action de visée dépend de la manière dont la penne est tenue. Un léger mouvement de la penne va diriger la flèche différemment. Nunki, l’étoile dans la penne, “proclame la Mer” parce qu’elle détermine la ligne de visée du cœur galactique.
L’inclination de la destinée qui détermina l’incarnation phare de cette séquence est le mouvement rétrograde de Jupiter en direction de Nunki. Observez ce mouvement, contemplez cet encodage graphique, participez à l’augure. Suivez la visée de l’Archer qui nous montre comment regarder vers le cœur galactique et souvenez-vous du nom de cette étoile, Nunki. C’est l’augure de Lydia mais c’est également un appel pour l’humanité à reconnaître sa source cosmique. Jupiter en conjonction avec Nunki signale la confiance qu’il faut acquérir en alignant l’intention humaine avec le cœur galactique et il invoque la sagesse d’un champ unifié de vision centrée sur le mythe de Sophia qui émergea de ce cœur et qui se métamorphosa en cette planète.
Moi, Lydia de Damas, je suis la voix des astronomes qui connaissaient cet alignement il y a des siècles de cela et, à la mémoire de ces siècles, au nom de l’autorité hors pair de cette mémoire, je le restaure aujourd’hui.
Ambre et Etoiles
En tant qu’enfant, j’adorais l’ambre plus que toute autre chose. Mes parents me dirent que cela devait en être ainsi parce que je naquis durant la Fête de l’Ambre dans la cité aux cent portails, Hecatombylos. Il était rare pour un enfant des Mardeena, une tribu de nomades Parthes, de naître dans une grande cité, et Hecatombylos en était sûrement une avec une population de 30 000 habitants. Elle était situé sur la Route de la Soie et, simultanément, c’était le point de départ vers les hauts plateaux du Lac Urmia, le foyer sacré des sages Perses appelés les Mages.
Bien que nous fussions un groupe mouvementé, les Mardeena avaient des liens familiaux avec les Mages, des shamans sophistiqués qui fondèrent le mouvement Gnostique. La légende familiale affirmait que certains de nos ancêtres lointains portaient le titre Avestan de vaedemna, “les sages”. Bien que nous rencontrions de nombreux “Chaldéens” (un autre nom des Mages) et Gnostiques durant nos périples, il était peu commun que quelqu’un de notre rude tribu se joigne à ce cercle d’intellectuels élitistes au front large. Ce que nous avions en commun avec eux, cependant, c’était la contemplation nocturne des cieux. La renommée des astronomes Sabéens était très répandue et les empereurs consultaient les voyants les plus âgés des Mardeena. La monnaie d’Hadrien avec une étoile enchâssée dans un croissant de lune dépeint une occultation de Vénus par la Lune, un augure de la vie amoureuse infortunée de ce régent Païen de l’époque tardive.
Dans mes premières mémoires de cette vie, je contemplais les étoiles – probablement à l’âge de trois ou quatre années. J’ai une mémoire distincte d’une conversation à l’âge d’environ sept années. J’étais enveloppé dans un châle de laine, blotti dessous les genoux de ma tante Kamdele, une astronome Sabéenne. Nous campions dans les collines du Mont Ararat surplombant le Lac Van (dans l’Arménie moderne). C’était une nuit glacée du printemps, le ciel resplendissait d’étoiles et il n’y avait pas de Lune. J’écoutais ma tante et d’autres discuter du ciel d’une manière animée. Je ne comprenais que peu de ce qu’ils évoquaient mais j’étais fascinée et bercée par leurs voix. En les imitant, mes yeux allaient et venaient en scannant le ciel et en scannant ensuite les visages à la lueur du feu de broussailles. Lorsqu’ils se dispersèrent pour aller dormir, j’étais encore toute agitée d’excitation. Kamdele avait remarqué avec quelle intensité j’observais le ciel. Elle me prit sur ses genoux et m’expliqua quelque chose.
« Les étoiles, petit poney, explosent d’histoires », dit-elle dans un murmure rauque, « mais les histoires sont tissées sur des fils que tu ne peux pas voir ». Elle me fit regarder le feu de broussailles. Lorsqu’elles se consumaient, les broussailles dures et huileuses émettaient une lueur stable telles des barres de fer chauffées à blanc retirées de la forge. Lorsqu’elles n’étaient plus en flammes, les branches noueuses luisaient comme un tas de tortillons rouges. «Regarde le bois luisan», ma tante me demanda-t-elle en tenant les tempes de ma tête entre ses paumes. «Regarde avec intensité et ne détourne pas les yeux». Au bout d’un moment, elle me tourna la tête vers la présence sombre et planante du Mont Ararat. «Maintenant, que vois-tu?» Je voyais les formes mêmes des branches incandescentes flottant dans les ténèbres. «C’est de cette manière que tu observes les lignes qui se tissent entre les étoiles; souviens-toi d’elles», me dit-elle en riant.
Après cela, tante Kamdele m’enseigna les noms des étoiles et m’aida à visualiser les configurations étoilées comme si elles étaient des images récurrentes telles des braises de broussailles. A l’âge de onze ans, je pouvais réciter les noms de deux cent étoiles. Je connaissais également un grand nombre des histoires corrélées mais ma remémoration n’était pas complète ou cohérente. J’étais une enfant impatiente qui voulait tout connaître à la fois. Ma tante reconnaissait ma frustration et m’instillait de la patience. Peu avant qu’elle ne mourût, Kamdele m’éveilla à l’aube, un jour, pour me montrer le croissant de lune en-dessous de Capella, l’étoile étincelante de l’Enfant, haut dans une constellation pentagonale au-dessus des Jumeaux. Elle me dit de visualiser l’Enfant perché sur l’épaule gauche du guerrier d’or, Auriga, le protecteur de ceux qui s’instruisaient de la Lumière Organique. Elle déclara que la lune en-dessous de l’Enfant constituait une augure de mort dans une vie future.
J’admis, avec un peu de honte, que je n’étais pas même capable de retenir la moitié des histoires qu’elle me racontait. Je vis des larmes poindre en ses yeux et je pensai que j’avais dû la décevoir grandement. Elle mit alors sa main dans ma poche afin d’y pêcher l’un des nombreux morceaux d’ambre que je portais toujours avec moi. En le tenant près de mes yeux, Kamdele dit: «tu vois dans l’ambre ce petit insecte, un petit moucheron». Oui, je dis que je pouvais le voir très bien. «Et bien, les étoiles conservent ta mémoire à l’image de cet ambre qui conserve un moucheron». Elle me conseilla de faire confiance à la puissance des étoiles pour atteindre et conserver la mémoire des histoires dépeintes en ces étoiles.
Le Bandit Parthe.
Jusqu’à l’âge de seize ans, j’étais un vrai garçon manqué, une fille férocement indépendante et aux manières rudes qui cherchait à réaliser tout ce que les garçons faisaient. Je fis de sérieuses chutes de cheval et je me coupai en jouant avec des couteaux. Et puis vint alors ma transformation en une jeune femme désirée des garçons que je tentais d’imiter. Ce fut une transition dure et choquante que j’eus de la peine à maîtriser. Avant tout, je ne voulais pas m’habiller de façon attrayante, portant des anneaux et des bijoux, utilisant des parfums langoureux de Shiraz mais c’était la manière d’être de notre tribu. Les femmes Mardeena étaient fières de leur beauté et de leur prestance. A l’étonnement de tout un chacun, et encore plus du mien, je devins aussi attrayante que j’avais été indisciplinée. J’avais des yeux Perses vert fumé positionnés profondément dans un visage au teint foncé. De fortes mâchoires mais pas trop fortes pour une femme. De petites oreilles similaires à des coquillages. Un nez droit et évasé à l’arête avec des narines raffinées. Des lèvres pleines et larges et des dents bien carrées. Une chevelure noire épaisse qui se rassemblait d’elle-même en larges tresses sur mes épaules. J’avais un corps de stature petite et vigoureuse avec des seins amples mais compacts, les hanches souples et évasées d’une danseuse et des jambes d’une robustesse non commune. A l’intérieur de ma cuisse gauche, juste au-dessus du genoux, se trouvait une marque de naissance sous la forme d’une lemniscate rouge pâle, une spirale allongée avec une boucle plus grande que l’autre.
La vision que j’avais d’être femme se transforma totalement un jour alors que je jouais avec un serpent, pour passer le temps, près d’un puits sur un bazar de bord de route près de Harran. Les Mardeena visitaient souvent cette grande cité dont le nom signifie “croisée des routes” sur le chemin d’aller ou de retour pour la Syrie mais nous restions à l’extérieur des grandes murailles. Alors que je regardais nonchalamment les 200 tours de la ville, un cavalier arriva au puits, un archer Parthe typique sur un cheval. Il portait une tunique courte de coton et de longues bottes. Ses cheveux et ses yeux étaient aussi noirs que de l’obsidienne. Je lui donnai le début de la vingtaine, cinq ou six années de plus que moi.
Nous plaisantâmes et badinâmes en Farsi. Les femmes Mardeena étaient indépendantes. Je ne refusais jamais de parler avec des hommes et je ne ressentais nul besoin de protection. Le jeune homme déclara que son nom était Jalamesh. Il arrivait juste de la cité resplendissante de Byzance et était en chemin vers l’Anatolie, la terre des Hittites. Le nom de ces endroits m’étaient exotiques. Il semblait qu’il me racontait une histoire de fées mais je savais que de tels endroits existaient. Ses yeux noirs étincelants, Jalamesh m’invita avec audace à venir avec lui en Anatolie, en voyageant vers l’est vers la source de la rivière Tigre. Il ajouta que ce serait une excursion gaie, un voyage aller-retour et qu’il me ramènerait à Harran dans dix jours. Tout autant excitée qu’apeurée de cette chance de voir cette partie sauvage et inconnue du monde, j’acceptai témérairement. J’informai une cousine de ce que je faisais et je la laissai au puits avec un regard incrédule alors que je m’éloignai à cheval avec les bras entourant ce beau bandit.
Nous atteignîmes le Tigre supérieur dans une courbe protégée là où la rivière était peu profonde et bordée de saules sinueux et de grands roseaux bruissant. Nous traversâmes à gué vers une petite île, coussinée d’herbes hautes, pour établir notre camp. C’est là que je découvris pour la première fois l’excitation terrible de l’union sexuelle. Jalamesh était rude avec moi comme s’il devait me forcer ce qu’il ne faisait pas. Je ne comprenais pas son comportement mais je m’y adaptai rapidement en pensant que cela devait être normal. J’étais captivée par son regard sauvage et avide et par son humeur tranquille et taciturne. En contemplant le ciel cette nuit-là, je vis les augures de ma destinée et je sus que j’allais rester avec ce jeune homme une période allouée de temps, écrite dans les étoiles.
Lorsque Jalamesh m’apporta un cheval, je sus de suite qu’il l’avait volé. Dans son attirail, je vis non seulement l’arc et le carquois mais aussi des couteaux, un cimeterre, une épée et d’autres armes dont je ne connaissais pas les noms. Je réalisai avec peur que j’étais avec un maraudeur, la sorte d’homme que les Mardeena évitaient strictement mais j’étais alors totalement sous l’enchantement de son charme sauvage. Jalamesh n’adoucit jamais son approche sexuelle et à chaque fois, il me prenait dans un flamboiement violent. Tous les mois, je dus ressortir à la connaissance des femmes en ayant recours au fenouil, au storax et à l’aster pour chasser les âpres semences qu’il avait plantées en moi. Je ne voulais être lié à lui d’aucune manière et encore moins de cette manière-là. Cependant, je ne voyais pas vraiment comment je pouvais m’en détacher. Je ne pouvais pas m’échapper car il me traquerait sûrement plus vite que je ne pouvais fuir. La destinée allait devoir intervenir.
Au bout de treize mois avec Jalamesh, durant lesquels il s’assura que l’on ne traverserait pas le chemin de Mardeena, nous arrivâmes à la ville d’Orumiyeh sur le rivage occidental du Lac Urmia, un site sacré pour les Mages Gnostiques. Jalamesh était dans une humeur étrange, irascible et euphorique après avoir échappé de justesse à la mort dans un raid mal planifié. La ville était sordide et enfumée. Il y avait de nombreux animaux de toutes espèces, des prostituées également et beaucoup de jeux. Jalamesh tomba dans un jeu utilisant un tableau hexagonal avec des chevilles d’ivoire et un os encoché à la place d’un dé. Fumant avidement sur un hookah, il procéda à dilapider au jeu tout le butin qu’il avait accumulé durant le mois passé. Il me tira alors dans la tente et il me mit comme dernier enjeu de ce jeu. Cela ne lui prit pas beaucoup de temps pour perdre. Lorsque le serviteur odorant du gagnant me poussa triomphalement hors de la tente, Jalamesh ne leva pas même le regard pour me voir partir. Je sentis qu’il n’avait pas beaucoup de honte à me regarder dans les yeux une dernière fois: il n’avait pas de honte du tout. C’était une manière tout aussi bonne qu’une autre de se débarrasser d’une femme.
Augure ou pas augure, je n’allais pas devenir la propriété d’un marchand balafré d’ânes, au regard concupiscent, de Tabriz. En prévision de problèmes, j’avais attaché l’un des couteaux de Jalamesh à l’une de mes cuisses. Au moment où le serviteur me tourna le dos, je lui sautai aux épaules et je lui tranchai la gorge, étonnée de voir que c’était à ce point tendre, étonnée de voir le couteau s’enfoncer comme dans de la cire liquide. C’était un couteau très acéré. Je voulais laisser un message précisant que j’étais dangereuse et que je ne serais pas capturée vivante. Je fuis ensuite sur le cheval que Jalamesh m’avait volé.
Nawrouz Petali
Je ne savais pas dans quelle direction aller. Je voulais éviter d’être recapturée par Jalamesh ou par quelqu’un d’autre qui m’aurait livrée à lui ou encore pire. Je chevauchai follement jusqu’à l’aube et je m’arrêtai à un ravin pour me cacher et me reposer. Je m’assoupis pour finir par être réveillée par un étrange bourdonnement. De l’autre côté du ravin se tenait un homme accueillant le soleil et chantant sur un rythme charmant. Il m’aperçut et vint vers moi de manière parfaitement naturelle. Ses atours me firent comprendre que c’était une sorte de saint homme, l’un des mystiques itinérants qui vivaient à la périphérie de l’Ordre des Mages. Il m’accueillit en Farsi et m’envoya un sourira radieux. «Tu es le cadeau du jour» me dit-il. Son nom était Tamzin, un nom de femme. Il me dit qu’il prit ce nom le jour où il se maria avec la femme à l’intérieur de lui. Il me dit que le nom de cette femme était Zufi’a.
Tamzin marchait en direction d’Antioches et m’offrit cordialement de l’accompagner. Il connaissait des chemins que personne ne prendrait, des sentiers secrets où nous pourrions échapper à toute détection et il avait des amis aux caravansérails tout le long et nous aurions donc un voyage sauf. Cela allait être un long périple. Je lui demandai si je devais abandonner mon cheval bienaimé. Il répondit qu’il espérait que non mais cela pourrait s’avérer nécessaire durant les premières étapes jusqu’à ce que nous atteignions le plateau Hittite. Et donc, nous nous mîmes en marche avec une extrême précaution en nous dirigeant à l’ouest vers le Lac Van et ensuite vers les plateaux au cœur de l’Anatolie. Au Lac, je rencontrai des Mardeena qui allaient rapporter à ma famille l’histoire de ma disparition et de ma rescousse.
Tamzin était expert en conversation et un très bon conteur avec une connaissance étendue des étoiles. Il appréciait ma tradition Sabéenne et il m’encouragea à la développer. Je ne m’ennuyais jamais en sa compagnie. Après avoir marché et chevauché durant cinq mois, nous atteignîmes Antioche sur le rivage de la rivière Orontes, là où elle se déverse dans la Méditerranée. Je trouvai que c’était un endroit magnifique et gracieux et je fus immédiatement enchanté. Le jour de mon dix-huitième anniversaire, selon le calendrier stellaire du dieu lunaire Sin, Tamzin m’amena à Daphné, un quartier élégant d’Antioche, et à la maison de Nawrouz Petali. Ce fut à ce moment-là, le jour le plus heureux de ma vie.
Nawrouz Petali était le superviseur de l’Ordre des Mages dans cette région du monde – une sorte de parrain Gnostique. Son prestige était immense et les histoires de sa générosité étaient légendaires tout le long du chemin vers l’Egypte. Dès notre première rencontre, il m’adopta comme sa fille et étudiante. Durant les six années suivantes, à savoir ma première période à Antioche, je vécus dans sa maison et je voyageai avec lui et son entourage à Damas, en Palestine, à Rhodes et à Alexandrie. L’année où je joignis sa maisonnée, l’Empereur Constantin fit de la cité de Byzance la capitale de l’Eglise Orientale et il la renomma en l’honneur de son propre nom. Ce fut une période sombre pour les Gnostiques et pour les Païens. Nawrouz Petali était déterminé à réorganiser ce qu’il restait des Mystères et à préserver l’instruction séculaire et sacrée de la culture Païenne, pour autant que cela fût possible au regard de la répression et de l’hostilité qui le confrontaient. C’était un mentor aimable et exigeant qui établit le programme de mon éducation en astronomie, en langages, en danse, en médecine et en orfèvrerie.
A Damas, j’entrai dans l’académie attachée à l’Ecole locale des Mystères, une institution établie sous la guidance des Nabathéens et rapidement je m’orientai vers des études supérieures. Sur l’Île de Rhodes, j’étudiai les plantes médicinales et les médecines corrélées aux propriétés du soleil, de la lune, des planètes et des étoiles. En Palestine, nous rencontrâmes des enseignants Gnostiques avec une connaissance spéciale concernant les démons Archontiques qui, selon ces rares détectives initiés, risquaient de faire dévier l’humanité de la sagesse de la Terre. Ils nous donnèrent à comprendre que l’application brutale de la loi et de la religion sous l’égide de la nouvelle foi constituait la première phase d’une bataille pour l’esprit humain qui allait durer des siècles. Cette connaissance me secoua au cœur de mon être. A Alexandrie où nous allions durant quatre mois chaque année, je dévorais de nombreux ouvrages et j’avançai mes études en astronomie. Au fil d’un certain nombre d’années, je rencontrai les derniers instructeurs des Mystères, y compris Theon, le père d’Hypatia qui naquit l’année de ma mort.
La Lumière de Petra
A l’âge de vingt-quatre ans, je complétai mon apprentissage avec Nawrouz Petali et je fus introduite dans la cellule Gnostique la plus élitiste d’Antioche. La Compagnie des Huit était constituée de quatre hommes, Dacius, Darius, Timochares, Nassim Padmani et de trois femmes, Polyxandra, Kleito, Farah Hormazin plus moi-même. C’est ainsi que commença mon initiation dans les Mystères de la Lumière Organique, une carrière mystique qui me conduisit à prendre le vœu qui serait accompli à la fin du Kali Yuga, seize siècles plus tard.
A l’âge de trente-cinq ans, lorsque je pris ce vœu, le futur de notre œuvre sacrée était incertain. Presque semaine après semaine, la suppression et l’agression menaçait nos pratiques. La plupart des membres de la cellule vivaient à Daphné, le Bel Air d’Antioche, depuis fort longtemps une citadelle des intellectuels Païens. Mais même cette enclave privilégiée n’était pas à l’abri des fanatiques de la nouvelle foi. Ils arrivaient avec un sac d’ossements et les enterraient au coin d’une rue ou dans un endroit tranquille dessous des palmiers-datiers. Alors, ils déclaraient que comme leur martyrs étaient enterrés là, c’était un sol sacré pour eux, et que donc ils pouvaient en prendre possession pour y construire une église. Ils développèrent leur influence par contamination avec des vestiges de charniers puants en utilisant la mort pour revendiquer des droits sur le vivant. Antioche fut le premier site où les convertis se nommèrent eux-mêmes des Chrétiens.
Ma seconde Période à Antioche, durant laquelle je restai profondément impliquée avec la Compagnie des Huit, dura vingt années, jusqu’à mes quarante-quatre ans. Ensuite, aux environs de 350 selon le calendrier Julien qui allait être ultérieurement établi, nous partîmes en exil…
Je vécus encore vingt années, toujours en compagnie de certains membres de la cellule originale mais aussi en rencontrant de plus jeunes mystiques que nous formions dans une tentative de préserver notre lignage et de transmettre les Mystères. La fin de ma vie advint à Pétra, dans la maison d’une jeune femme appelée Dushara. Pétra était l’antique capitale des Nabathéens qui avaient été traditionnellement les parrains et les protecteurs des “hérétiques” Gnostiques, ainsi qu’ils étaient maintenant considérés par ces gens qui les chassaient comme des criminels. Dushara était la seule survivante d’une famille respectée de Nabathéens réputée avoir engendré de nombreux médecins très qualifiés. A un jeune âge, elle comprenait déjà fort bien la médecine mais elle n’était pas totalement formée dans l’art de la guérison.
Nous, les Païens, nous sommes un groupe superstitieux, et nous découvrons des signes et des augures à chaque tournant de la vie. Lorsque les augures de la nuit m’indiquèrent que le moment était proche, je confiai à Dushara mon souhait de prendre une potion pour mourir aisément, avec une acceptation totale. Je lui demandai de concocter ce breuvage, la potion de la guérison ultime, bien que je savais qu’elle ne pouvait pas le faire car elle manquait de l’expertise adéquate. Je suggérai certaines herbes à cueillir et comment les préparer en sachant pertinemment qu’elles n’allaient pas fonctionner. Je la trompai par amour car je souhaitais contracter un pacte avec elle qui serait spécifiquement scellé par le fait qu’elle m’accompagne à mourir. Elle avait besoin de croire qu’elle pouvait m’offrir ce cadeau d’euthanasie. Je voulais qu’elle le croit car de cette façon nous serions liés dans un destin commun dans des vies futures. Ma mort devait être une fiction d’intention sacrée.
La lumière douce sur le grès de Pétra me rappelait le lever de soleil sur les piliers du Temple de Dendéra, très loin sur une courbe du Nil. J’évoquai avec Dushara l’époque où ensemble nous étions au service d’Hathor. Elle ne pouvait pas recouvrer ces mémoires mais elle les reçut avec une sorte de plaisir sombre. Je lui dis également les noms Egyptiens que nous portions à cette époque, en violation d’une loi sacrée stipulant que les noms littéraux ne soient pas révélés lorsque l’on rapporte des vies passées – ce qui impliquait un risque avéré de mort. Mais bon, j’étais celle qui allait mourir en raison de cette révélation interdite.
La main élancée de Dushara trembla lorsqu’elle me tendit la potion dans la coupe d’étain. C’était doux et épais et se bloqua presque dans ma gorge. Je lui souriais avec gratitude, tendant le bras pour lui caresser le visage et repoussant des mèches des cheveux blond-roux par dessus son front. La lumière au travers du rideau vertical projetait sur nous des silhouettes dures comme si nous étions des personnages imprimés sur une toile tressée. Les boucles d’oreille, que j’avais faites pour elle, tintèrent doucement alors qu’elle se penchait pour placer sa main sur mon épaule. Un âne braya dans la rue dehors. Je bus lentement et je mourus.
14 juillet 2008. Andalousie.