Chapitre 19. Un Message Unique d’Amour

La victime divine est un reflet pour l’humanité non pas de la solution à notre souffrance, et d’une voie pour la surmonter, mais de notre asservissement total, et consumant, à cette souffrance. Le mécanisme victimaire fonctionne parce qu’il fait apparaître la force de la souffrance plus puissante que la force de la vie elle-même.

 

Contraints à l’Amour

Comme si tout cela n’était pas suffisant – et c’est déjà beaucoup: une abysse profonde dont on ne peut sonder le fond sans vertige – il existe encore une fourberie ultime et létale, telle la barbe de l’hameçon bien enfouie dans la chair. La puissance immense du bouc-émissariat – le mécanisme victimaire –  est due à la collusion entre la victime et le perpétrateur mais la victime divine, de l’histoire de la rédemption, n’est pas juste une victime: il est également un émissaire envoyé de Dieu et porteur d’un message unique d’amour. Jésus est le messager éminent de l’amour et ils sont nombreux à croire cela. Lorsque les Pharisiens lui demandèrent: «quel est le premier commandement de tous?», il répondit:

«Voici le premier: Ecoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur; et: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force. Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là.» (Marc 12:29-31)

Tout cela semble magnifique jusqu’à ce que nous nous posions la question suivante: qui a réellement besoin d’être contraint à aimer? Quiconque a aimé, dans sa vie, un être humain, un animal, un endroit dans la Nature, une oeuvre d’art – qui que ce soit ou quoi que ce soit d’autre – sait que l’amour émerge de son plein gré. Il ne peut pas être commandé ou contraint. Imaginez que l’on vous montre le Grand Canyon et que l’on vous commande de l’aimer. Il se peut que vous ne l’aimiez pas mais si vous l’aimez, vous n’avez pas besoin qu’on vous le commande. Nous aimons spontanément, au travers de la puissance même de l’amour qui ne peut pas être commandée. Si tout cela est une vérité qui coule de source, en ce qui concerne l’amour dans l’expérience humaine, pourquoi faudrait-il qu’il en soit autrement pour l’amour de Dieu ou pour l’amour de son prochain?

Le commandement d’aimer est le stratagème suprême, et profondément insidieux, de manipulation du programme des dominateurs. (Dans un poème de deux lignes, “Réponse à Jésus”, D. H. Lawrence déclara que quiconque l’oblige à aimer engendre un meurtier en son propre sein). Mais, si l’on veut être un peu plus généreux, on pourrait l’appeler le plaidoyer central du paternalisme divin dont le porte-parole éminent est Jésus/Christ.

La plus grande partie de ce que Jésus a dit est du pur non-sens qui va à l’encontre de la nature humaine, à l’image des versets ci-dessus cités, mais personne ne fronce un seul sourcil lorsque ces commandements sont prononcés. Et pourquoi non? Parce que le messager d’amour est la victime divine sous des traits humains et réfuter Jésus serait refuser le pouvoir absolvant du bouc-émissaire. Nous serions alors complètement livrés à nous-mêmes sans règles à suivre, forcés de juger ce qui est bon ou mal en fonction de normes humaines sans absolution pour les perpétrateurs et sans vengeance pour les victimes. Voilà la vérité existentielle insupportable de la condition humaine – mais non, en fait, nous ne faisons que présupposer qu’elle soit insupportable. En fait, nous n’avons pas essayé, nous n’en avons jamais fait l’expérience intégrale afin d’en ressentir la nature.

La psyché humaine est tellement empêtrée sous des couches de conditionnement religieux et historique que l’accès à la vérité nue de notre expérience propre est bloqué. R. D. Laing a affirmé que la destruction ultime qui puisse être commise vis à vis d’un être humain, c’est celle de sa capacité à vivre sa propre expérience – et c’est ce qu’a réalisé le monothéisme patriarcal, en utilisant la religion comme son prétexte. En s’exprimant à partir de la même perception, les Gnostiques avertirent que le rédemptionnisme allait anéantir notre héritage divin, le noos, le potentiel humain d’apprendre et d’évoluer. Comment pouvons-nous savoir ce que les humains sont capables de réaliser, avec leurs propres resources, si nous nous en remettons à une agence surhumaine pour prédéterminer les problématiques les plus essentielles de la vie?

Le message d’amour est la barbe sur l’hameçon de la collusion victime-perpétrateur. Et l’appât de l’hameçon est Jésus. (Quelque part dans son oeuvre, Carl  Jung présente une gravure médiévale dépeignant Jésus descendant des cieux sur un énorme hameçon – afin de montrer qu’il était un “pécheur d’hommes”). Le message de “l’homme des douleurs” est à ce point contraire à la condition humaine que cela a requis des siècles de manipulation apologétique pour le rendre à moitié présentable. Dans “Beyond Theology”, Alan Watts écrivit que: «Nous sommes spirituellement paralysés par le fétiche de Jésus. Même pour les athées, il représente l’homme suprêmement bon, l’autorité exemplaire et morale au sujet de laquelle tout le monde est d’accord. Quelles que soient nos opinions, nous devons nous forcer à jongler avec les paroles de Jésus afin d’être d’accord avec elles. Pauvre Jésus! S’il avait su quelle autorité allait être projetée sur lui, il n’aurait jamais ouvert la bouche».239

Et tout cela continue encore. Dans un essai intitulé “The Christian Paradox – How a Faithful Nation Gets Jesus Wrong”, l’écrivain environnementaliste Bill McKibben (The End of Nature) commente les versets, dans Marc 12, qui commandent d’aimer: «Bien que sa puissance rhétorique ait été estompée par la reconnaissance, c’est une notion radicale, peut-être la notion la plus radicale qui puisse exister»240. Si nous assumons que cela soit vrai, nous nous sentirons obligés de faire tout ce qui est imaginable afin d’être en phase avec “les enseignements de Jésus”, en croyant que de suivre ses conseils changera la condition humaine. Si nous, simples humains, éprouvons de la difficulté à mettre en pratique son message sublime, cela ne peut être que notre faute et notre très grande faute. Si Jésus a dit des choses qui seraient universellement vraies et essentielles pour vivre la vie que les humains devraient vivre et que l’on ne comprend pas Jésus, c’est effectivement un grave problème.

Mais si Jésus lui-même avait tort, le problème est encore plus grave.

Observez l’histoire et prenez en considération tout ce qui a été dit et fait pour démontrer que Jésus avait raison, en comparaison de tout ce qui a été dit et fait pour démontrer qu’il avait tort. Il n’existe presque rien en ce qui concerne la seconde partie de l’argumentation. Si des réfutations de Jésus ont existé, elles ont été très certainement détruites tout comme les écrits des Gnostiques ont été intégralement détruits. Que nous apprend l’absence presque totale de contre-argumentation? Dans la bibliothèque théologique de l’Université Catholique de Louvain, où je fais parfois des recherches sur les écrits Gnostiques et sur les Manuscrits de la Mer Morte, il existe des étages entiers de longues rangées d’ouvrages qui prouvent que Jésus avait raison. Ce qui a survécu de l’argumentation Gnostique dénonçant le Christianisme se trouve dans un seul ouvrage, la Bibliothèque de Nag Hammadi. C’est comme de chercher un flocon d’avoine dans une décharge puante de la taille de l’Alaska.

Les oeuvres complètes des Pères de l’Église qui sont consacrées à la réfutation des Gnostiques – à savoir, le dossier de l’accusation – occupent à elles seules plusieurs mètres linéaires d’étagères. Et la littérature patristique n’est qu’une tranche infime de la somme totale de discours défensifs et apologétiques qui a été produite pour prouver que Jésus avait vraiment raison. Nous sommes ainsi enclins à croire que Jésus avait raison parce qu’il a été produit un tel monumental effort pour convaincre le monde entier qu’il en est ainsi; cependant, l’amplitude de l’argumentation n’est en aucune manière une preuve de sa véracité. En fait, ce pourrait être même la preuve du contraire: une tentative monumentale pour convertir le mental humain à la funeste foi de l’humanité trahie.

Pourquoi est-il si difficile de réfuter Jésus? Et bien, à part l’intrication prodigieuse du complexe du rédempteur et la pathologie glauque de la collusion victime-perpétrateur – qui représentent toutes deux un formidable défi pour la compréhension humaine et un défi requérant un exercice extraordinaire de patience – il existe deux autres obstacles considérables sur le chemin. Le premier est le problème posé par “les enseignements de Jésus” qui se décline en plusieurs aspects épineux.

Jésus lui-même n’a jamais rien écrit et toutes les paroles, donc, qui lui sont attribuées ont été écrites par d’autres. En espérant que nous ayons un rapport précis et fiable de ce que le Seigneur a dit, nous ne pouvons que nous en remettre à ceux qui ont consigné ses paroles. Et même si nous faisons confiance à Jésus, en croyant qu’il a réellement vécu et qu’il avait un message unique pour l’humanité, c’est une toute autre histoire que de faire confiance à ceux qui ont rédigé ce message. Considérons que son message ne peut être exclusivement trouvé que dans les paroles qui lui sont attribuées, communément imprimées en rouge dans le Nouveau Testament. Extrayez toutes ces pages et vous avez ce que Jésus est supposé avoir dit. Mais les enseignements ne se trouvent pas que dans ces paroles. Ils se trouvent également dans tout ce qui a été dit et écrit au sujet de ces paroles – à savoir l’exposé des enseignements. On peut accepter que toute cette matière soit une partie valide des “enseignements de Jésus”. Mais, avec cet exposé, nous sommes de nouveau confrontés au même problème: celui de faire confiance à ceux qui l’ont produit. Nous sommes toujours éloignés d’un pas de Jésus, dépendant de personnes inconnues qui rédigèrent les paroles qui lui sont attribuées et dépendant de nombreuses personnes connues qui ont fourni un commentaire soutenant ces paroles. En bref, nous sommes dans une situation telle qu’il nous faut faire confiance à ce que d’autres ont dit ou écrit afin de connaître ce que Jésus a dit.

Mais il existe une manière de contourner ce problème. Assumons que tout ce que Jésus enseignat, l’essence et l’amplitude de son message, peut se trouver dans les verbatim imprimés en rouge. Cela nous permet de circonscrire considérablement la tâche. Peu importe ce qui a été fait de ce que Jésus a dit; si nous ne pouvons pas découvrir le message essentiel dans ses propres paroles, c’est donc que nous ne pouvons pas trouver un accès à ce message, n’est-ce pas? Tant bien même nous ne pouvons pas être assurés que le verbatim consigné constitue un rapport authentique de ses paroles, nous pouvons procéder de l’avant en faisant comme si cela l’était. Nous pouvons donc examiner ces paroles mêmes, le langage, les expressions et voir quel type d’enseignement elles véhiculent.

La première chose que cet exercice révèle, c’est qu’il n’existe que peu de contenu original dans les paroles attribuées à Jésus. Le commandement «d’aimer son prochain» n’était pas spécifique au Galiléen. Il se trouve dans Leviticus 19:18: «Vous ne devez pas vous venger des enfants de votre peuple ni leur en vouloir mais vous devez aimer votre prochain comme vous-mêmes. Je suis le Seigneur». De la manière dont ce commandement est articulé, il fait clairement référence à des conflits au sein de la communauté Juive à laquelle il est adressé. Sa finalité est de restreindre la violence vengeresse à l’intérieur de la tribu. La déclaration «Je suis le Seigneur» met en exergue que le commandement procède d’une agence suprahumaine qui ne peut être ni remise en question ni défiée. Il n’existe ici aucun enseignement mais simplement un commandement, donné à un groupe tribal particulier, de se comporter d’une certaine manière. Les commandements n’enseignent rien du tout. Jésus n’enseigne pas d’ailleurs. Il cite simplement ce commandement mais dans un autre contexte et il le modifie: «Vous avez appris qu’il a été dit: “Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi”. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent» (Mathieu 5).

Il semble dans ce cas que ces versets révèlent l’essence originelle des enseignements de Jésus. Jésus ici réfute la loi “oeil pour oeil” de l’Ancien Testament considérée, dans les sociétés Indigènes et Païennes, comme étant la solution parfaitement adéquate lorsque le perpétrateur est connu. On prétend souvent que l’aspect le plus grandiose du Christianisme, par rapport au Judaïsme, c’est le rejet de la morale “oeil pour oeil” au profit de l’amour universel. Mais au vu de ce que nous avons appris, eu égard au mécanisme victimaire, il serait sage de prêter attention à ce que la victime divine dit par rapport au processus de victimisation dans les versets cités. La grande évolution morale, que Jésus propose, est une approbation claire et directe de la collusion victime-perpétrateur: «faites du bien à ceux qui vous persécutent». Lorsque ce commandement est associé à l’assurance que l’abus et la persécution vaudront la faveur du Rédempteur – «Bénis soient ceux qui sont persécutés en mon nom» – les victimes ont une approbation divine pour être persécutés et même pour inviter la persécution.

 

Morale de double-contrainte

Le second élément le plus cité des enseignements de Jésus, qui est réputé être authentiquement original, est la règle d’or: «Faites aux autres ce que vous souhaitez qu’ils vous fassent». Mais, là encore, cet adage n’est pas du tout spécifique au Galiléen. Non seulement cette règle d’or se retrouve, sous des modalités diverses, dans toutes les cultures du monde mais, qui plus est, parmi les Juifs elle est réputée avoir été le coeur de l’enseignement du Rabbi Hillel (30 avant EC – 10 EC), le leader éthique et spirituel proéminent de sa génération. Lorsqu’on lui posa la même question posée à Jésus: quel est le premier commandement de tous? Hillel répondit: «Ne faites pas autres ce que vous n’aimeriez pas qu’ils vous fassent. C’est l’essence de la Torah. Tout le reste n’est que commentaire». Il est extrêmement important de voir, cependant, qu’en citant Hillel, Jésus change la syntaxe de la phrase de négatif en positif. Le changement de syntaxe détruit complètement le sens originel du principe de Hillel.

Ce qu’une personne n’aime pas est très clair pour elle. Cela suggère immédiatement, à cette personne, ce qu’elle ne devrait pas faire à autrui. Le principe d’Hillel est un puissant moyen de dissuasion qui fait complètement l’impasse sur le langage de la récompense et de la punition. Psychologiquement, c’est un brillant conseil de vie. Ce n’est pas de la moralité utopienne – quelque chose qui serait sympathique mais que l’on ne pourrait pas mettre en pratique. Au contraire, c’est un principe honnête et existentiel. Il peut être mis à l’épreuve de la vie et s’il fonctionne, nous pouvons en tirer des leçons. Par contre, la syntaxe positive de la version de ce principe, par Jésus, possède une double connotation qui la rend complètement différente. Juste de penser à ce que nous voudrions qu’autrui nous fasse est perturbant et fait immédiatement dériver de la vérité essentielle du principe de Hillel. La règle, telle qu’elle est modifiée par Jésus, concerne ce que nous souhaitons d’autrui et non pas ce qui est haïssable et qui ne peut être toléré. Ce que nous souhaitons d’autrui constitue une énorme considération déviante. Cela rend mon comportement envers autrui dépendant de ce que je puis obtenir, ou de ce que j’imagine pouvoir obtenir, d’eux. Ces considérations pervertissent complètement la relation éthique fondamentale entre les personnes qui dépend de la capacité à se détacher de l’utilisation d’autrui à des fins personnelles.

Il y a de plus une seconde distortion. Lorsque Jésus dit “faites à autrui” plutôt que “ne faites pas à autrui”, il insinue une connotation d’obligation. La règle d’or, selon sa version, pourrait être paraphrasée comme suit: “Vous êtes obligés de traiter autrui selon toute voie par laquelle vous aimeriez qu’ils vous traitent”. Comment ce principe fonctionne-t-il en pratique? Et bien imaginez que je souhaite que mon voisin m’offre des vacances à Tahiti. Ce que je vais donc faire, en accord avec l’éthique de Jésus, c’est d’aller payer des vacances tout compris pour mon voisin à Tahiti.

Ce n’est pas très compliqué de ridiculiser la règle d’or, selon la version de Jésus, mais ce n’est pas même nécessaire. La proposition est ridicule en soi et elle est même stupide. Au contraire, le principe affirmé par Hillel est éminement sain. Il est difficile de le ridiculiser. De par l’élément d’obligation qu’elle véhicule, la version de Jésus de la règle d’or appartient à ce que le philosophe exitentialiste Walter Kaufmann appela “la moralité prudentielle”. Il impliquait par cela un code moral qui nous oblige à réaliser des choses pour l’évolution de nos propres âmes. Il est prudent de faire le bien à autrui, par exemple, parce que nous en serons récompensés.

Dans son ouvrage “The Faith of a Heretic”, Walter Kaufmann affirme que la moralité Judéo-Chrétienne «ne connait pas la valeur d’une action faite pour elle-même», sans une attente de récompense (ou de punition). «L’éthique de l’Ancien Testament est une éthique de prudence et de récompense comme si le point était que cela paye d’être bon»241. La version par Jésus de la règle d’or associe la moralité prudentielle avec l’élément de fantaisie du désir arbitraire. “Pensez à ce que vous aimeriez que les autres vous fassent, et faites le ensuite pour eux, non pas pour leur bien mais pour bénéficier de ce que cela va vous rapporter”. C’est une paraphrase exacte de l’enseignement de Jésus. La moralité prudentielle est un comportement pervers qui n’a rien à voir avec la considération responsable envers autrui.

Lorsqu’on les analyse minutieusement, les enseignements de Jésus ne sont rien de plus qu’une poignée de suggestions pitoyables de type cabinet de conseil en victimisation. Cela requérerait un ouvrage entier pour analyser toutes les paroles et y découvrir ce qui est réellement original, ce qui n’est que dérivatif et ce qui est complètement loufoque. Deux observations majeures pourront suffire: les prétendus enseignements ne sont en rien des enseignements, ce sont juste des déclarations de paternalisme divin et une grande partie du language a recours à des formulations en double contrainte qui présentent des propositions schizophréniques, telles que les Béatitudes du Sermon sur la Montagne. Quelle que soit l’identité de celui qui écrivit les paroles imprimées en rouge, il était à la fois extrêmement intelligent et extrêmement pervers. L’enseignement attribué à la victime divine est une ruse diabolique. L’éthique schizoïde, à la saccharine, de Jésus permet aux victimes, qui sont de connivence avec les perpétrateurs, de se sentir bien.  Dans de nombreux exemples, les principes que Jésus expose sont erronés, eu égard à la condition humaine, et sont complèment impraticables, en termes existentiels.

Jésus était dans l’erreur sur de nombreux plans et dans une erreur suprême quant à la problématique suivante. De tous les conseils douteux offerts dans le Nouveau Testament, un commandement est particulièrement dangereux: c’est la fameuse injonction “de ne pas résister au mal” et “de présenter l’autre joue”. Si tout un chacun agissait de la sorte, quelle type de société en résulterait-il? Si tout le monde tendait l’autre joue, qui porterait les coups? Evidemment, personne. Si tous les êtres humains, en ce monde, respectaient le commandement de tendre l’autre joue, il n’y aurait plus besoin de tendre l’autre joue parce que personne ne pourrait plus nuire à son prochain. Le principe est manifestement absurde et s’annule tout seul mais pris à la lettre, il sert un objectif incontestable: celui de conférer toute liberté aux perpétrateurs.

Il est difficile de dire ce qui est le plus malheureux: Jésus était réellement sincère en proposant ce genre de comportement ou était-il intentionnellement pervers? Dans les deux cas, l’éthique de tendre l’autre joue se fourvoie complètement parce qu’elle oblige les gens, qui ne sont pas enclins à nuire à autrui, à s’en remettre à ceux qui, eux, nuisent à autrui pour embrasser la même pratique de non-défense. Les personnes, qui sont enclines à violenter et à blesser autrui, vont-elles volontairement modifier leur comportement juste parce qu’elles en sont face de quelqu’un qui ne leur résiste pas? Dans quelles situations de l’expérience humaine cela est-il arrivé? Les perpétrateurs sont obligés d’être sur la défensive mais d’une tout autre façon. Ils dissimulent et mentent et font tout pour se protéger afin qu’ils puissent commettre leurs actes sans être détectés ou vaincus. Est-il raisonnable de s’attendre à ce que des personnes qui agissent de cette manière vont adopter volontairement l’éthique de la joue tendue? Proposer un code de moralité qui repose sur la bonne volonté des perpétrateurs, pour abandonner leurs voies, est un authentique coup de génie schizoïde.

On est en droit de se demander si un tel code ne procède pas des perpétrateurs en premier lieu.

Les propositions en double-contrainte qui informent “les enseignements de Jésus” confondraient un schizophrène patenté et feraient pâlir de honte le plus ingénieux des gurus de sectes. Les paroles du “Sermon sur la Montagne” – tel que «les doux hériteront de la terre» – ont renforcé avec brio la collusion victimes-perpétrateurs durant soixante-dix générations, à savoir le laps de temps qui s’est écoulé depuis l’époque de Jésus. «La voie vers la croyance d’un homme passe par la confusion et l’absurdité», observa Jacques Vallée. Il parlait du “système de contrôle spirituel” du phénomène OVNI/ET mais il aurait pu tout aussi bien dire cela de la morale Chrétienne. Avec les commandements de faire ce qui vient naturellement, comment peut-on faillir? Mais la démence est telle que parce que ce qui est naturel ne peut pas être commandé, nous allons faillir. Nous sommes destinés à faillir. «Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu». C’est de cette manière que le programme fonctionne. C’est comme cela que l’histoire de la rédemption fonctionne. C’est le contexte du peuple Juif dans l’Ancien Testament.

Un Gnostique dirait que nous sommes tous des Juifs vis à vis des Archontes, les gouverneurs, les autorités – à savoir les contrôleurs occultes du programme des dominateurs.

Voici une autre dure leçon de l’histoire: les édits moraux pervers de la religion patriarcale, énoncés dans “les enseignements de Jésus”, ne furent jamais conçus pour améliorer la condition humaine ou bien pour guider les peuples vers des comportements d’amour et de responsabilité. Ils ont été conçus juste pour en faire semblant. Il existe un génie authentique, une virtuosité prodigieuse de manipulation dans le mysticisme sado-masochiste de l’éthique rédemptionniste. Les Évangiles n’ont quasiment aucune valeur en tant que guide vers une moralité personnelle mais, par contre, ce sont des outils extrêmement efficaces de contrôle psychologique.

 

Dignité Blessée

Il n’est nul besoin de préciser que cela ne se fait pas de médire sur Jésus. C’est une grande partie de la difficulté qu’il y a à réfuter la démence manifeste de l’éthique rédemptionniste. En remettant en question Jésus, ou en lui manquant de respect, il semble que nous avillissions, d’une certaine manière, notre propre humanité. C’est étrange mais c’est ce que nous ressentons réellement et un tel ressenti constitue une dissuasion extrêmement puissante.

La résistance profondément enfouie à réfuter Jésus constitue l’ultime obstacle sur le chemin de l’humanité vers le recouvrement de son héritage divin, tel qu’il est exprimé dans la vision Sophianique des Gnostiques. Pourquoi cette résistance est-elle si endémique et si persistante? Il en est ainsi parce que l’image de la victime divine a été enchâssée dans l’imagination humaine tel un miroir de la dignité humaine. Toute attaque, à l’encontre de Jésus, est ressentie comme un affront à la dignité humaine. Tout ce qui est affirmé, à l’encontre de Jésus, est immédiatement perçu comme suspect parce que le personnage humain de Jésus a été affublé d’une importance unique et précieuse. Il en est venu à représenter l’auto-évaluation innée de l’espèce humaine. Toute attaque à l’encontre du personnage Jésus, ou toute critique du message d’amour qui nous arrive par l’entremise du rédempteur divin, est ressentie comme un coup porté à notre sens commun de l’humanité.

Mais n’aurions-nous pas placé notre sens de l’humanité au mauvais endroit? Dans la mauvaise personne?

Le Démiurge de l’Ancien Testament est un imposteur dément et arrogant qui prétend que les êtres humains sont “Faits à Son image”. Ces quatre mots constituent la devise d’entreprise du patriarcat. Brandi sur l’âme humaine, “Faits à Son image” signifie l’esclavage total de l’humanité vis à vis d’un programme extraterrestre. Si les Gnostiques avaient raison, l’émergence du rédemptionnisme fut une erreur unique pour notre espèce et non pas une nouvelle révélation morale. Pour les contrôleurs occultes, rien ne sert mieux de couverture qu’un message d’amour cosmique. Le texte en petits caractères véhicule un jeu de commandements, inscrits dans le message, et qui ne sont ni sains ni pratiquables: ne résiste pas au mal, aime tes ennemis, fais le bien à ceux qui te nuisent, présente l’autre joue, accepte les sévices, pardonne au perpétrateur. Ces propositions sont lovées dans le message d’amour qui les entoure d’un enrobage de sucre. Le message d’amour est une ruse permettant d’avaliser et de renforcer la collusion victime-perpétrateur.

Aussi dur que nous le tentions, il est impossible d’extraire un message authentique d’amour et de bonté  du paternalisme divin. La source est définitivement trop corrompue. C’est sans doute la plus sévère des leçons que l’histoire puisse nous enseigner.

Les êtres humains possèdent un sens intuitif profond et inébranlable qui leur dit que l’amour ne peut pas être le fondement de la moralité bien qu’il soit le facteur essentiel et directeur dans notre capacité intégrale à l’expression morale (à savoir, consciente et responsable). Le fondement de la moralité dans notre sens pour la vie, c’est notre dévotion à la force de vie*. C’est ce qui nous permet – et qui plus est, nous inspire – d’accepter et de suivre la force spontanée de l’amour sans avoir à la forcer ou à la commander. C’est la même intuition qui nous donne la confiance d’apprendre comment aimer au fil du déroulement de l’expérience et d’apprendre de l’amour comment faire face aux situations où l’amour n’est pas impliqué. Mais cette connaissance intuitive précieuse est vulnérable aux influences extérieures et, plus particulièrement, celles qui procèdent de la sphère religieuse. Le sens de la vie fut détruit chez les Européens par l’impact brutal du conditionnement rédemptionniste et c’est pourquoi ils se comportèrent, comme ils le firent, lorsqu’ils rencontrèrent leur reflet distant dans les tribus Indigènes des Amériques.

Les Européens envièrent ce qu’ils virent et ils détruisirent ce qu’ils ne pourraient jamais avoir – à savoir recouvrer en tant que partie d’eux-mêmes – mais seulement posséder, voler, piller. De par leur conversion à la morale rédemptionniste, le monde entier fut déshérité d’un legs de connaissances spirituelles, enracinées dans la Terre, si riche et si vaste qu’il se peut que nous n’appréhendions jamais l’amplitude de ce qui fut perdu lorsque les Mystères furent détruits.

De par leur intelligence rabougrie par la perte de cet ancien héritage, les Européens, qui envahirent les Amériques, ne purent pas reconnaître le génie natif chez les joyeux sauvages qu’ils rencontrèrent. (Colomb souligna leur contentement dans son journal avec une impression d’étonnement total). Leurs sens fondamental d’humanité étant miné par leur idéal suprahumain, ils ne ressentirent pas le besoin d’agir humainement. Ce que les Européens firent dans les Amériques constitue la meilleure mesure que nous ayons de ce qui est possible lorsque le sens moral inné à l’humanité est détruit par des croyances inhumaines.

Nous contemplons tout comme nous croyons. Ce que les conquistadores contemplèrent était une nature vierge à violer et une richesse incalculable à piller parce qu’eux-mêmes avaient été violés et que leur héritage sacré avait été volé. Spirituellement et moralement appauvris, ils étaient idéalement qualifiés pour devenir des perpétrateurs au travers de la conquête et de la conversion. L’avidité était leur unique option parce que la richesse de ce qu’ils contemplaient, l’amplitude et la profondeur du sens natif de la vie, leur étaient inaccessibles: ils ne pouvaient pas recouvrer de l’extérieur ce qu’ils avaient perdu à l’intérieur. L’histoire bien connue des longs canots doit être considérée à l’envers: les Amérindiens ne pouvaient pas voir les énormes navires Espagnols ancrés dans la baie bien qu’ils pussent voir les petits groupes d’hommes ramant dans les barques vers le rivage parce qu’eux-mêmes possédaient des canots. De même, les hommes des gallions pouvaient voir les Amérindiens sur le rivage parce qu’ils avaient des corps humains comme les leurs mais, par contre, ils ne pouvaient pas du tout percevoir leurs modes de vie. Sophia déclara au Démiurge: «Tu es aveugle, Samael» et elle le ridiculisa de ne pas voir l’image lumineuse de l’humanité authentique, l’Anthropos. L’enseignement Gnostique, selon lequel Yaldabaoth et les Archontes ne peuvent pas comprendre l’humanité, contient une puissante mise en garde à l’encontre de la croyance selon laquelle «nous sommes faits à l’image de Dieu».

Seul un Dieu qui ne peut pas reconnaître la nature de l’humanité serait assez arrogant pour la créer à Sa propre image.

La sagesse Indigène nous enseigne que chaque espèce est faite à l’image de son habitat, de la biorégion en laquelle elle demeure et nous ne sommes pas une exception à ce principe. Il se peut que le problème le plus ardu qui se pose à nous, pour recouvrer la vision Sophianique, c’est de dissocier l’image générique que nous avons de nous-mêmes, notre sens de l’humanité, de l’image de la victime divine sur laquelle elle s’est fixée. Dans le complexe du rédempteur, nous sommes confrontés à une ruse imaginative, une image mythologique qui détruit de front notre pouvoir intérieur d’imaginer le vivant: l’homme-dieu crucifié sur la croix. Nous gagnons la résurrection mais nous perdons le Terre vivante en laquelle demeure notre héritage divin. L’image de la victime divine emplit l’imagination de l’humanité et la tue, l’anesthésie à mort. En acceptant l’homme crucifié comme l’image de notre humanité, nous ne pouvons pas accéder à notre humanité authentique. Le Christianisme nous déshumanise et il le fait dans l’esprit préparé par le zaddik, l’idéal Hébreu du juste et de la pureté supraterrestre.

 

Amour de la Vie

Le Rédempteur Divin, dont le reflet humain est la personne de Jésus, véhicule l’image sacrée de la dignité humaine mais, en même temps, il inflige une terrible blessure au potentiel humain. Le Rédempteur est déclaré être l’unique agent de Dieu envoyé dans le monde pour le sauver. Lui, le Fils Unique Engendré de Dieu, est la Victime Divine et, en même temps, le modèle de l’humanité parfaite, la meilleure personne qui ait jamais vécu, selon l’histoire de la rédemption. L’impact psychospirituel de cette histoire est de loin différent de ce qu’il est déclaré être par ceux qui embrassent cette histoire et mettent en application les croyances qu’elle encode. «Nous sommes spirituellement paralysés par le fétiche de Jésus» (Alan Watts, ouvrage cité ci-dessus). La médecine rédemptionniste promise est en fait une toxine qui grignote l’esprit humain comme de l’acide. La blessure à la dignité de notre espèce, par l’image même en laquelle cette dignité est investie, est le fond du puits où le patriarcat garde son secret innommable: la source occulte de notre impulsion génocidaire et auto-destructrice.

Qu’est ce qui blesse la dignité humaine le plus profondément et le plus durablement? L’aliénation de la Terre de par le fait de placer son image de soi dans un personnage trans-humain et extra-terrestre. Cette distanciation brise la connexion de reflet avec Gaïa et avec la vie de toutes les autres espèces. C’est également un mensonge. Nous sommes créés, non pas en Son image, mais dans “l’adaptation” évolutive à notre environnement, à notre habitat. Nous sommes créés à l’image du monde naturel que nous contemplons, selon la manière dont nous le contemplons. C’est ce que les Mystères enseignaient de par leur dévouement indéfectible à la Grande Mère.

Nous avons eu de la dignité bien avant d’avoir des egos à sauver. Au seuil de la mort, nous cherchons notre mortelle et modeste dignité quel que soit ce que recherche notre ego de l’autre côté. Il est grand temps de recouvrer notre dignité humaine confisquée par les gardiens du paternalisme divin qui promeuvent et imposent les trois religions Abrahamiques.

La Victime Divine est à l’Anthropos ce que la menorah est à l’asherah. C’est la focalisation pathétique et égarée de la valeur de soi humaine. Au lieu du reflet d’une humanité joyeuse et vitale, nous avons l’agonie d’un homme cloué à la croix. Le contre-mimétisme, qui est ici à l’oeuvre, remplace la force vitale par la morbidité et l’amour de soi par l’agonie narcissique. Jésus vous commande d’aimer votre prochain comme vous-mêmes mais ne vous dit rien sur la manière de vous aimer vous-mêmes en premier lieu; son conseil est donc nul et non avenu. L’amour de soi est l’effet collatéral naturel de l’amour de la vie. Jésus ne dit pas: “Vous devez aimer votre propre vie tout comme vous aimez une autre personne, en toute liberté et spontanéité, en n’attendant rien en retour. Et ce faisant, en aimant la vie de cette manière, vous trouverez la force d’accueillir ce que l’amour humain vous apporte, à la fois dans ses joies et dans ses chagrins. Et vous devrez accepter d’être aimé de la même manière, libre et spontanée, en n’émettant aucune revendication sur ce que vous recevez.” Les paroles attribuées à Jésus ne disent rien de la sorte, jamais, parce que le message d’amour imprimé en rouge n’est pas ce qu’il est supposé être. Le message d’amour qui procède du paternalisme divin, délivré par le modèle ultime de la collusion victime-perpétrateur, ne peut pas atteindre la souffrance humaine et toucher le coeur de ce qui la transcende. Il ne peut même pas, non plus, commencer à révéler le mystère authentique de l’amour humain. Tout ce qui est compatible avec la condition humaine, cohérent avec notre faculté d’aimer et logique pour toutes les espèces, ne peut pas se trouver dans les “bonnes nouvelles “ du Nouveau Testament; cependant, l’espérance de l’y trouver fait qu’il est presqu’impossible de discerner l’inhumanité de Jésus/Christ.

Dans son ouvrage “Where the Wasteland Ends”, Theodore Roszak observa que la domination de l’histoire de la rédemption Judéo-Chrétienne a profondément blessé l’imagination humaine, empêchant notre espèce de développer ses facultés de création d’histoires et de mythes. «Le Christ appartient à l’histoire; ses rivaux étaient de simples mythes. Il est clair que, de par l’avènement du Christianisme, il se manifesta une transformation profonde de la conscience humaine qui altéra sévèrement les pouvoirs mythopoétiques – beaucoup plus, et de loin, que ce fut le cas avec le Judaïsme».242

L’essence opérationnelle du mal est de tuer l’imagination, l’epinoia lumineuse dont a fait don à l’humanité Zoé, la fille née des flammes de Sophia (épisode 6, traité extensivement plus loin dans l’ouvrage). Les Gnostiques s’opposèrent à la fois à l’idéologie et à la morale du rédemptionisme parce qu’ils perçurent comment il décime notre faculté imaginative et nous laisse sans vision pour nous guider, incertains de nos limites, vulnérables à des forces extra-terrestres et à toutes sortes de déviance, de narcissisme et d’obsession de soi-même. Il y a deux mille ans, les gardiens des Mystères prirent conscience que la théologie de la rédemption, centrée sur la victime divine, allait entièrement miner leur tâche consacrée de développer le potentiel humain et d’enseigner l’auto-direction. Un shaman de l’époque moderne au Népal s’est exprimé comme auraient pu le faire les Gnostiques: «Nous shamans, nous étions là un million d’années avant que la croix et autres symboles fussent découverts par les humains. La croix est l’opposé du shamanisme».243

La crucifixion est une ruse pour tuer l’âme. De par le contre-mimétisme, ce que vous voyez n’est définitivement pas ce que vous obtenez. Ce n’est pas Jésus/Christ qui est crucifié sur la croix, c’est l’imagination humaine, la puissance visionnaire innée de notre espèce. Et cette faculté précieuse ne va pas ressusciter par le biais de la réconciliation avec les perpétrateurs qui l’y ont clouée et qui, en même temps et dans la même histoire perverse, déclarent que la Victime Divine est la Lumière du Monde.