L’histoire de la domination Européenne commence avec Rome et il en est de même pour le triomphe du Christianisme. Il ne s’écoula qu’un millier d’années entre la fondation de Rome en 753 avant EC (selon l’historien Romain Varro) et l’an 200 EC lorsqu’un évêque de Rome fut officiellement proclamé le premier pape, portant le nom de Pontifex Maximus. Cela allait prendre environ un autre siècle avant que l’Empire Romain ne fusionnât formellement avec le nouveau credo rédemptionniste, le Christianisme Romain.
L’institutionnalisation de la Foi Unique et Véridique fut établie par Constantin, le converti présumé, qui proclama le Christianisme comme religion d’Etat en 325 EC. A partir de sa création, au quatrième siècle, le nouveau credo embrassa l’idéologie politique de la conquête et de la domination. Ou, pourrait-on dire, il utilisa des concepts religieux pour déguiser son idéologie politique. L’historien des religions, Jaroslav Pelikan, exprime sa surprise vis à vis de «la possibilité que César puisse reconnaître la souveraineté du Christ comme Roi des Rois». Mais ensuite, en évoquant l’idéologue Tertullien (environ 160-230), un des premiers écrivains à condamner les Gnostiques comme hérétiques, il dévoile le jeu:
«“Les Césars, aussi, auraient cru en Christ” affirma Tertullien, “si les Chrétiens avaient pu être des Césars”; mais cela était une contradiction dans les termes. Néanmoins, la contradiction morale devint une réalité politique au quatrième siècle lorsque l’Empereur Constantin 1er devint Chrétien, prêtant allégeance à Jésus/Christ et adoptant la croix comme son emblème personnel et militaire»51 (mise en gras de John Lash).
Pelikan ne peut pas percevoir – parce que sa foi personnelle l’aveugle à la réalité politique et historique de cette foi – qu’il n’existe aucune contradiction morale. Tout au contraire, Christ et César étaient faits l’un pour l’autre. La Conversion et la Conquête constituent un doublon irrésistible et durable.
Sociétés Gylaniques
La domination Européenne, dans le Nouveau Monde, procéda sous couvert de conversion: les Indigènes devaient être “sauvés” ou bien être détruits au cours du processus. La notion selon laquelle des êtres humains peuvent être détruits, afin d’être sauvés, caractérise la logique démente de la théologie de l’annihilation (ainsi que je propose de l’appeler). Un des quatre éléments du complexe du rédempteur, à savoir le quatrième – l’apocalypse et le jugement final – contient le germe létal de cette théologie de l’annihilation.
Parmi les peuples pré-Chrétiens d’Europa, le concept de châtiment divin, prononcé lors d’une fin du monde catastrophique, n’existait pas. Des parallèles mythologiques à ce scénario étaient inconnus des peuples Ibériens, Gaéliques, Italiques ou Helléniques ou des tribus Indigènes des Îles Britanniques et de l’Irlande. Seules les races Nordiques en possédaient une sorte d’équivalent dans Ragnarok, le “crépuscule des dieux”, mais ce thème mythologique est une évocation d’une mémoire antique d’une catastrophe d’Age Glaciaire, un désastre naturel récurrent. C’est quelque chose de relativement distinct d’un acte volontaire de punition par un dieu créateur mâle.
La souche virulente apocalyptique, inhérente au Christianisme, dériva de l’extrémisme Juif, et plus particulièrement d’une secte, les Zaddikim de la Mer Morte (dont la description détaillée est présentée au chapitre 4). L’élément apocalyptique s’avéra particulièrement létal, pour la vie de l’âme Européenne, parce que le châtiment divin est une proposition extra-mondaine, et de nature strictement mâle, qui est complètement étrangère aux cultures enracinées dans la religion tellurique de la Grande Déesse. Il est établi par le dieu paternel par l’entremise de ses guerriers bigots, les soldats de son “armée du salut”. Pour qu’une telle conception de violence divine émerge, et soit vécue au sein d’une quelconque culture, il faut qu’il existe une rupture radicale des genres alors que l’équilibre et la santé des sociétés Européennes dépendaient d’une harmonie de ces deux genres. L’apocalypse n’est pas une catastrophe naturelle mais un acte surnaturel par lequel le Dieu Paternel affirme sa puissance suprême et dans lequel la Mère Nature ne joue aucun rôle. En d’autres mots, le jugement apocalyptique est exclusivement un mythe patriarcal. En tant que tel, il aurait été considéré comme étranger et redoutable par les peuples natifs qui vivaient dans des cultures matriarcales et dans des sociétés empreintes d’une harmonisation entre les genres féminin et masculin.
L’intuition fondamentale de l’écoféminisme – un terme originellement utilisé en 1974 par Françoise d’Eaubonne, une sociologue Française – est le fait que la domination de la Nature va de pair avec la domination des femmes. Cette perception relie la problématique écologique à la problématique des relations de genres. La théologienne écoféministe, Rosemary Radford Reuther, affirma ce principe en une phrase: «Il ne peut exister aucune libération des femmes, et aucune solution à la crise écologique, au sein d’une société dont le modèle fondamental est la domination»52. Avec un certain recul historique, il apparaît maintenant que la religion rédemptionniste n’est pas du tout une religion dans le sens où elle s’intéressait sincèrement au Divin et où elle prendrait en compte, avec compassion et lucidité, les besoins spirituels humains. C’est plutôt un système politique sous un déguisement religieux, un système dont «le modèle fondamental est la domination». La fin du monde apocalyptique représente la culmination de la domination mâle. C’est la justification ultime de la puissance patriarcale.
«De nombreuses écoféministes suggèrent que l’écologie profonde, en tant que mouvement, n’est pas assez sensible aux voies complexes par lesquelles l’écocide, le sexisme, le racisme et le classicisme s’entrelacent et ni assez sensible au rôle stratégiquement central que l’analyse des genres pourrait jouer dans le démantèlement de ces catégories»53. Cette observation soulevée par Andy Fisher, dans son ouvrage “Radical Ecopsychology”, s’applique avec pertinence à l’analyse psychohistorique de la “blessure antérieure” en Europa. Dans les sociétés Indigènes pré-Chrétiennes, l’harmonie des genres était cruciale à leur durabilité mais elle les rendait également vulnérables. La religion rédemptionniste, émergeant du Proche Orient, entraîna dans son sillage l’écocide, le sexisme, le racisme et, soutenue par la philosophie Grecque, elle s’empressa de prendre comme allié le rationalisme Apollinien. Tous ces facteurs furent parties prenantes du programme de conversion et renforcèrent les aspirations patriarcales à la domination. Dans les Îles Britanniques, dans tout le continent Européen et autour du bassin Méditerranéen, les relations de genre durent être violemment bouleversées afin que le nouveau programme de rédemption divine puisse prévaloir.
Dans son ouvrage “The Chalice and the Blade” (1987), Riane Eisler présenta la civilisation Minoenne comme le modèle d’une culture “gylanique” au sein de laquelle ne dominaient ni les valeurs matriarcales ni les valeurs patriarcales. Son néologisme combine les termes Grecs “gyne” pour femelle et “andros” pour mâle, afin d’évoquer une harmonie masculine-féminine. Eisler proposa également l’expression “culture de domination” afin de caractériser toute société marquée par «l’hégémonie d’une moitié de l’humanité sur l’autre moitié».54 En s’attachant à la problématique des genres, Eisler mit en valeur l’apartheid sexuel caractéristique du patriarcat, soulignant ainsi le rôle crucial de la pathologie sexuelle dans notre aliénation de la Terre. Dans “Future Primitive”, une biographie recherchée et brillante de D. H. Lawrence, Dolores LaChapelle observa que «le problème de la sexualité, dans sa dimension la plus large, est au coeur de la destruction, par la civilisation moderne, de l’humanité et de la Nature»55. A l’instar de Lawrence, LaChapelle considère que l’attrait sexuel entre les êtres humains est un reflet de la vie sensorielle de la planète, de la biosphère même. Dans une société gylanique, les plaisirs sensuels et sexuels constituent des dérivés naturels de l’amour et de l’émerveillement ressentis pour la Terre.
La civilisation Minoenne était certainement remarquable à ces égards et, ainsi qu’Eisler le souligne, il en était de même pour d’autres cultures de l’Europe pré-Chrétienne. Les sociétés bio-régionales de l’Antique Europe de Marija Gimbutas apparaissent également avoir été soigneusement harmonisées sur le plan des relations de genres. La civilisation Celtique, qui unifia Europa, présente, de même, un modèle gylanique ainsi que nous le verrons ultérieurement.
Il serait insensé de prétendre que la société Païenne ait été parfaitement égalitaire mais l’élite des intellectuels Païens, les Gnostiques, l’était très certainement. Jacques Lacarrière souligna que «seuls les Gnostiques étaient assez audacieux pour mettre le feu aux poudres et pour postuler que toute rébellion, toute protestation à l’encontre du monde, toute revendication de libération sociale ou spirituelle doit, afin de porter ses fruits, commencer par la libération sexuelle”56. Les Gnostiques pratiquaient l’égalité sexuelle de façon à la fois rigoureuse et rituelle. Durant leurs rencontres hebdomadaires, ils tiraient au sort pour savoir qui allait présider à la session courante et les femmes étaient les égales des hommes en toutes capacités pour instruire et guider le groupe. Chaque cellule des Mystères, appelée Thiasos en Grec, comprenait un groupe central composé de huit hommes et de huit femmes. Un bol rare en albâtre, provenant d’un groupe Orphique, ainsi que le bol Pietroasa découvert à Buzau dans le sud-est de la Roumanie, témoignent de cette structure. Un bol en lampe Etrusque, datant du cinquième siècle, présente également ce motif de seize.57 Tous les vestiges, qui ont survécu, de ces objets rituels rares dépeignent les initiés se touchant par la plante des pieds nus.
La réconciliation des genres doit être au coeur de toute discussion de ce pourquoi la société Païenne fonctionne et, qui plus est, de ce qui fait qu’une société perdure tel qu’on en trouve des exemples dans les cultures gylaniques, ou cultures de partenariat, évoquées par Riane Eisler. Terence McKenna, qui adopta et développa le modèle d’Eisler, a défini la culture de domination comme «hiérarchique, paternaliste, matérialiste et dominée par les mâles» et «évolutivement déphasée».58 En bref, on peut l’identifier au patriarcat, en tant que forme disharmonieuse d’organisation sociale, qui impose la force au détriment de la coopération, qui exploite la différence de genre et qui ignore les limitations inhérentes à la culture biorégionale. Bien que les racines du patriarcat s’enfoncent dans la préhistoire, et bien qu’elles se situent géographiquement en dehors de l’Europe, l’émergence du système patriarcal-dominateur en Occident peut être retracée à l’histoire de l’Empire Romain.
Héritage Celtique
«Les vrais Celtes constituaient une race de grande taille, à la peau claire, belliqueuse et imposante dont le berceau d’origine (pour autant que nous puissions le retracer) se situait vers les sources du Danube et qui étendit son territoire, à la fois par la conquête et par l’infiltration paisible, en Europe centrale, en Gaule, en Espagne et dans les Îles Britanniques. Ils n’exterminèrent pas les habitants préhistoriques natifs de ces régions – des races Néolithiques et Paléolithiques, bâtisseuses de dolmens et forgeuses de bronze – mais ils leur imposèrent leur langage, leur art et leur tradition, en intégrant en échange, sans aucun doute, beaucoup d’éléments de ces peuples, plus particulièrement dans le domaine essentiel de la religion. Parmi ces races, les Celtes véritables formaient une classe dirigeante et aristocratique.»59
Des tribus Indigènes, diverses et nombreuses, demeuraient en Europa durant les six mille années qui précédèrent l’émergence du Christianisme mais la culture Celtique en imprégnait intégralement les territoires. Elle unifia Europa de l’Irlande au nord jusqu’à la Péninsule Ibérienne au sud et jusqu’à la Turquie, à l’est, où la tribu des Galates établit une vaste colonie en 276 avant EC. Les Galates du Nouveau Testament étaient des Celtes blonds et aux yeux bleus. Une légende apocryphe affirme que Jean le Baptiste était un Celte et que Marie-Madeleine était Circasienne, mi-Celte et mi-Juive. (Des métis mi-Celtes survécurent au Levant jusqu’au début du 20ème siècle. T. E. Lawrence se fit passer pour l’un d’eux, avec peine cependant, lorsqu’il se déguisa en Arabe pour aller espionner les Turcs, tel qu’il est relaté dans le film de David Lean, “Lawrence d’Arabie”). Cette légende explique – et pour autant que je sache, c’est la seule hypothèse plausible – pourquoi Marie-Madeleine est traditionnellement dépeinte avec une chevelure blonde ou rousse.
Le peuple des Minoens fut au coeur de l’histoire d’Europa, ainsi que le mythe de Zeus et d’Europa le suggère, et leur culture se caractérisait par une réelle harmonie entre les genres. Il en était de même de la culture des anciens Celtes. Europa, durant l’ère pré-Chrétienne, ne fut jamais unifiée sous une puissance totalitaire mais elle bénéficia certainement d’une période de paix et d’unité durant “l’Age de Fer Celtique” qui dura de 1200 avant EC jusqu’au début de l’Ère Commune. L’écrivain Breton, Jean Markale, montre dans son ouvrage, “La Femme Celte”, que la société Celtique était très nettement gylanique pour ne pas dire qu’elle favorisait, à bien des égards, la puissance et le prestige des femmes. La société Celtique présente un modèle d’Europe Païenne, pré-Chrétienne, à son apogée, juste avant l’émergence de l’histoire écrite.60
A partir de l’aube de l’Age Néolithique, aux alentours de 9000 avant EC, jusqu’à la fin de l’Age de Bronze, aux alentours de 1400 avant EC, Europa, incluant les Îles Britanniques, était occupée par une mosaïque de groupes ethniques qui parlaient des langues inconnues (un de ces groupes était constitué par les Basques qui ont survécu jusqu’à nos jours). Pour des motifs inconnus, mais peut-être en raison simplement de leur force de caractère, les peuples Celtes se répandirent dans toute Europa et l’unifièrent, en quelque sorte. C’est pour cela que les historiens considèrent que la civilisation Celte fut la première culture pleinement Européenne. Elle perdura pendant environ 1500 ans et, lors de l’émergence de Rome, «les Celtes furent les premiers peuples de l’Europe tempérée à être intégrés au sein de l’Empire Romain lors de son extension au-delà du bassin Méditerranéen»61. La civilisation Celtique représente la complexité multi-raciale d’Europa car elle fut la première culture d’amplitude authentiquement Européenne. Mais le rôle historique unique des Celtes est également empreint d’éléments tragiques. Les tribus Celtiques constituèrent la première cible de la même violence génocidaire que les Européens perpétrèrent lors de leur invasion des Amériques.
La culture Celtique n’était pas théocratique, c’est à dire qu’elle n’était pas fondée sur l’institution de la royauté d’ordre divin qui assume que la classe dirigeante procéda des dieux, car tous les Celtes ressentaient qu’ils étaient “Tuatha de Danaan”, les Enfants de Dana. La divinité mère de leur culture était la déesse de la rivière Dana, ou Danu. La localisation de l’origine géographique des Celtes (le foyer Celte) a été très débattue mais on peut probablement la déterminer aux environs des sources du Danube dans les Alpes Suisses.
Réputés pour leur sensualité, et pour leur amour de la beauté physique, les Celtes étaient de grands romantiques. Les belles histoires d’amour du Moyen-Age, telles que l’histoire de Tristan et d’Yseult et les romances Arthuriennes, trouvent toutes leurs origines dans la matrice Celtique, ainsi que la plupart des variations de la quête du Graal, «la toute première définition de la mythologie séculaire qui constitue de nos jours la force spirituelle qui guide l’Europe de l’ouest», selon le mythologiste Joseph Campbell.62
Le mythe des amoureux est, bien sûr, un archétype universel mais ses variations Occidentales sont profondément imprégnées d’éléments Celtiques. Les versions pré-Chrétiennes de la légende du Graal dérivent du mythe Celtique de la triple Déesse Keridwen qui initie les poètes et les voyants aux secrets des codes cachés de la Nature. Le Graal originel était le chaudron magique de la Déesse, la matrice de la Grande Mère. Un artifice littéraire, introduit par Robert de Boron au 13ème siècle, transforma cet artéfact Païen en la coupe qui contient le sang du Sauveur.
“Tristan et Ysolde”, de Gottfreid von Strassburg (1210), est l’histoire d’amour la plus grandiose de tout le Moyen-Age. Ses personnages et son environnement étaient Celtiques. Elle fut rédigée en Moyen Haut Allemand et d’autres versions, moins complètes, de l’histoire nous sont parvenues en Breton, en vieux Français et en Latin. Les Celtes eux-mêmes ne possédaient aucune écriture. A l’image des cultures Amérindiennes de l’Age de Bronze, ils fondaient tout sur le code de l’honneur de la parole donnée. L’honneur est un attribut Païen. La langue appelée Gaélique, encore parlée de nos jours en Ecosse et en Irlande de l’ouest, est proche du langage parlé par les Celtes il y a trois mille ans. Le Gaélique est tout aussi antique que le Grec mais le Grec fut écrit dès 800 avant EC alors que le Gaélique ne fut jamais écrit avant 1930 lorsque la translittération fut effectuée par des érudits qui se dédiaient à la préservation des traditions Écossaises. Des deux langues qui furent les plus influentes à modeler l’identité d’Europa, l’une fut écrite et l’autre pas.
Emerveillement et Courage
Les Celtes ne possédaient aucune classe formelle de prêtres. Ils suivaient bien plutôt la guidance spirituelle des Druides (les “initiés des chênes”) qui représentaient une tradition de shamanisme dérivée de la culture préhistorique des bâtisseurs de mégalithes. Les druides étaient des astronomes, des devins, et des adeptes accomplis aux pouvoirs paranormaux. Ils étaient nimbés également d’une aura d’autorité morale considérable qui leur permettait d’arbitrer les guerres et de juger les meurtres. Les rumeurs propagées par Pline l’Ancien (23-79), selon lesquelles les Druides pratiquaient systématiquement les sacrifices humains, ne sont pas fondées. Dion Chrysostum (1er siècle EC), un historien qui voyagea énormément parmi les Celtes, les compara aux Brahmanes de la société Hindoue. Il dit que les Druides «étaient versés dans les arts des voyants et d’autres formes de sagesse et sans leur aval les rois n’avaient aucune latitude pour adopter ou programmer des lignes de conduite».63 Un siècle auparavant, l’orateur Romain Cicéron les avait comparés aux Mages de Perse.
Le mythographe Grec, Hécatée d’Abdera (4ème siècle avant EC), décrivit le cercle Druidique de Stonehenge où Apollo, “un dieu de shamans”, faisait un voyage annuel. Selon Hérodote, le mystique Abaris était capable de voyager partout “sur une flèche”, c’est à dire, par vol magique.64 Deux des dons d’Apollon à l’humanité, la flèche et le pouvoir de guérir, sont universellement associés au shamanisme.
Dans son ouvrage “Avalonian Quest”, l’érudit Arthurien Geoffrey Ashe écrit que «les Druides étaient, en effet, des shamans». Ils étaient les gardiens de la sagesse Indigène qui partageaient leurs connaissances avec leurs homologues en Grèce et dans le reste du monde classique. Ashe cite Stuart Piggot, une autorité sur l’histoire des Druides: «Même si le shamanisme ne constitua pas l’intégralité des religions Paléolithiques et Mésolithiques, il en fut sans doute un élément important qui participa à la fondation de l’antique tradition Européenne».65 Des Gnostiques telle qu’Hypatia, que l’on pouvait sûrement considérer comme des shamans urbains intellectuels, auraient reconnu les Druides comme des gnostikoi de plein droit, à savoir des adeptes du surnaturel et du sublime versés dans les matières divines. En fait, du vivant d’Hypatia, Alexandrie était le foyer d’un cercle d’érudits qui se consacraient à l’étude et à la répertoriation des connaissances Druidiques.66 Selon la vision des anciens, qui vivaient beaucoup plus en contact des phénomènes que nous le vivons, des experts en connaissance spirituelle et des adeptes des pouvoirs paranormaux auraient mérité le qualificatif de Gnostikos, quelles que soient leurs origines culturelles. De tels personnages vénérés auraient été trouvés dans toute la mosaïque pan-Européenne des Mystères qui s’étendait des lointaines Hébrides jusqu’au Proche-Orient.67
Les Druides étaient les initiés des Mystères Hiberniens décrits par Hérodote et d’autres écrivains antiques. Ils utilisaient un code appelé ogham, constitué de symboles runiques plutôt que de lettres. Étant des chantres et des musiciens accomplis, il se peut qu’ils aient introduit en Grèce quelques notions quant à “l’harmonie des sphères” et ils n’auraient certainement éprouvé aucune difficulté à débattre de matières célestes avec les astronomes Egyptiens. Bien que les Druides ne possédaient pas d’alphabet séculaire d’origine Celtique, ils pouvaient lire le Grec, et le parler, ainsi que d’autres langages Européens et ils maintenaient un système d’éducation. Les collèges Druidiques constituaient la facette éducative des Mystères Hiberniens. Selon Diogène Laertius, et d’autres sources antiques, les Druides «enseignaient que l’idéal pour le peuple était de vivre en harmonie avec la Nature et avec eux-mêmes, dans l’acceptation que la douleur et la mort n’étaient pas des maux mais qu’ils étaient essentiels… et que le seul mal était la faiblesse morale». Leur message au peuple était «Révérez les dieux, ne vous faites pas de mal les uns aux autres, et faites preuve de courage».68
La supposition, selon laquelle les Païens réalisaient des sacrifices humains systématiques et généralisés, provient d’une remarque non fondée de Pline l’Ancien, ainsi que nous l’avons déjà souligné. Il existe d’amples preuves archéologiques de sacrifice dans les théocraties du Proche-Orient et du Moyen-Orient ainsi qu’en Chine, au Mexique et au Pérou mais il n’en existe aucune en Europe. Certains théocrates du Moyen-Orient, qui réalisaient effectivement des sacrifices humains, et les requéraient dans la conduite de l’État et des rites funéraires, étaient des Païens dans un sens très lâche, mais non pas des Païens qui partageaient la sensibilité orientée vers la vie qui est caractéristique des Européens.
L’hérétique Irlandais Pélagius (354-420) était un contemporain d’Hypatia. Profondément imprégné du mythe de la triple déesse, et d’autres variations de l’aspect ternaire de la tradition Celtique, Pelagius formula la Trinité en se fondant sur des notions ancestrales de divinité terrestre. Parce qu’il affirmait que le peuple pouvait réaliser son propre salut en faisant appel à sa propre volonté et à son propre intellect, sans se soumettre à quoi que ce soit de pré-établi, il fut accusé par Rome de faire revivre la philosophie Druidique et condamné comme un hérétique. Dans sa forme originelle, le libre arbitre fut une hérésie Païenne d’inspiration Celtique. Les idées de Pélagius furent rejetées en faveur de la doctrine Augustinienne de “Péché Originel”. La Trinité que Pélagius formula fut ultérieuremernt créditée à Cyrille, l’évêque d’Alexandrie, celui-là même qui commandita sans doute le meurtre d’Hypatia. La co-optation allait de pair avec l’éradication, et le terrorisme, dans la conquête de l’Ancien Monde et ce qui était consigné, comme toujours, était écrit afin de légitimer, ou même de glorifier, les perpétrateurs. Un historien commente: «Les sources les plus antiques, concernant les Druides, furent rédigées afin de légitimer Rome et sa conquête des Celtes ainsi que l’extermination des Druides. En l’an 54 EC, l’empereur Romain Claudius prohiba légalement l’existence des Druides. C’était pour Rome une démarche logique: pour conquérir les peuples et les absorber, il faut tout d’abord se débarrasser de leurs intellectuels et détruire leur tradition culturelle».69
Premier Sang
Au crépuscule de leur culture, les guerriers Celtes furent embauchés comme mercenaires dans les légions Romaines. C’est un exemple historique très clair de la relation victime-perpétrateur car les Celtes avaient été les victimes de l’agression Romaine durant des siècles. Au début, les Celtes apprirent à se défendre, avant tout pour se protéger. (Dans “l’Anatomie de la destructivité humaine”, Erich Fromm explique la différence entre l’agression défensive et l’agression prédatrice et il affirme que l’espèce humaine «n’est philogénétiquement pas un animal prédateur»70). En 360 avant EC, les Celtes ripostèrent contre l’invasion de leurs territoires natifs. Ils annihilèrent l’armée Romaine et occupèrent Rome, un événement humiliant dans l’histoire Romaine. Il s’ensuivit une période de paix, brisée un siècle plus tard, lorsque certaines tribus Celtes s’allièrent avec les Étrusques contre Rome. Le conflit qui en découla provoqua le démantèlement de la civilisation Celtique mais la fin fut longue à venir. Les campagnes Romaines, lancées dans le but de vaincre et de détruire les confédérations tribales des Celtes, présentent les premiers exemples authentiques de génocide sur le sol Européen.
Dans “Les Guerres de Gaule”, Jules César présenta son récit auto-justificateur des campagnes qu’il mena en Gaule (le nom Celtique pour la France moderne) contre les confédérations tribales unies par un guerrier intrépide et intelligent nommé Vercingétorix. Un pays de forêts profondes et de rivières majestueuses, la Gaule était très vaste et riche de ressources. Conquise, elle allait agrandir d’un quart le territoire de l’Empire Romain.
Les guerres de Gaule durèrent seulement de 58 à 52 avant EC mais elles changèrent, à jamais, le visage et la destinée de l’antique Europa. César commença sa compagne en établissant un camp d’hiver dans la Gaule cisalpine, près des sources du Danube, à proximité du “berceau Celte” présumé. Durant l’hiver 58/57, des rumeurs coururent selon lesquelles certaines tribus, appelées Belgica, se préparaient à l’attaquer. César envoya deux légions à Reims, au coeur de la tribu des Remi, et persuada le chef tribal de se joindre à lui. Les autres tribus Belges de la région réagirent en attaquant Reims mais César les repoussa. Puis, passant de la défensive à l’offensive, César étendit sa campagne. Il attaqua deux tribus hostiles, les Nerviens et les Aduatuci, et leur infligea des pertes massives. Lors d’une bataille, sur 60 000 combattants Celtes, seuls 500 survécurent.
Jusqu’alors, les batailles menées étaient engagées entre les armées et n’occasionnaient pas de victimes dans les populations civiles. Parmi les tribus Celtiques se trouvaient de nombreux guerriers endurcis de nature barbare, des égaux de la puissance militaire Romaine. Les Belgica, en particulier, étaient réputés pour leur férocité au combat tout autant que pour leur maîtrise des chevaux. Les opérations militaires n’impliquaient pas des assauts à l’encontre des populations locales mais la résistance des Belgica attisa la soif de sang de César. Il établit un camp d’hiver parmi les tribus qu’il avait subjuguées et, afin de garder la main, il s’en alla conquérir la Grande-Bretagne. Il se rendit compte, bientôt, qu’il s’était lui-même créé un problème en établissant un camp de base au milieu de populations vaincues mais encore hostiles, dans les zones humides de Belgique. Arrivant de nulle part, une révolte Celte annihila deux de ses légions. César riposta par une attaque massive des tribus dans les terres basses du Rhin et cette fois-ci, son attaque engloba les populations civiles. Ces agressions, à l’encontre de la population civile, furent si brutales que lorsque la nouvelle en parvint à Rome, le sénateur Caton exigea que César soit capturé et jugé comme un criminel de guerre. Mais César eut gain de cause et continua sur sa lancée de conquêtes militaires et de génocides. Les massacres des Belgica lui ouvrirent la voie vers une campagne plus extensive: la conquête de toute la Gaule.
Les grands desseins de César commencèrent à être contrecarrés par un soulèvement des confédérations tribales unies sous la conduite d’un formidable guerrier qui s’appelait Vercingétorix. Les Romains furent complètement vaincus à Orléans et, pendant un certain temps, il sembla que le héros Celte avait une chance réelle de les chasser de Gaule. A la suite de nombreuses escarmouches, César força une confrontation massive à Bourges, une des cités les plus populeuses et les plus prospères de la confédération Gauloise.
La cité de Bourges fut assiégée et se défendit vaillamment mais éventuellement, elle succomba et ses 60 000 habitants sans défense furent massacrés. César ne voulut pas reconnaître qu’il donna l’ordre de ce massacre. Il commente sèchement: «Aucun de nos hommes ne partit en quête de butin; ils étaient tellement furieux du massacre d’Orléans et des efforts déployés pour mettre fin au siège qu’ils n’épargnèrent ni les vieillards, ni les femmes, ni les enfants». (Guerres des Gaules 7. 24).
Ce fut le premier génocide, massif et délibéré, d’un peuple Indigène qui fut commis sur le sol Européen et il initia une offensive de conquête pour l’Empire Romain en Europa et ultérieurement pour l’Église, qui épousa l’Empire, dans le monde entier. Bien que ce génocide eût été commis avant l’émergence du Christianisme, il constitue le prototype de l’agression triomphale et sans merci, légitimée par l’autorité divine, qui sévit dans toute l’Europe lorsque Rome adopta la Croix.
La résistance Gauloise resta forte après Bourges mais le massacre de cette cité avait fait tourner le vent en faveur de César. La fin de jeu avec les Celtes se déroula trois années plus tard à Alésia, près de Dijon, dans les collines somptueuses de Bourgogne. Vercingétorix et son armée s’installèrent, avec d’amples provisions, dans une forteresse en haut d’une colline prêt à un siège de durée indéfinie. César fit construire d’énormes fortifications à son armée (dont les vestiges subsistent de nos jours) pour encercler les 80 000 hommes de l’armée de son adversaire Vercingétorix. Apprenant que des renforts en très grand nombre, provenant de la confédération Celte, étaient en route, César fit construire une seconde ligne de fortifications pour protéger ses forces d’une attaque arrière. Les fortifications Romaines étaient si efficaces que César fut capable de garder ses positions, d’affamer l’armée de Vercingétorix tout en repoussant les renforts qui, selon des sources antiques, étaient forts d’un quart de millions d’hommes.
La défaite des Celtes à Alésia fut peut-être provoquée tout autant par les fortifications Romaines que par une démoralisation généralisée. Lorsque les femmes et les enfants sortirent hors du camp assiégé sur la colline, César ordonna qu’ils ne puissent passer la seconde ligne de fortifications. Isolés entre les barricades, des milliers d’entre eux moururent de faim sous les yeux des deux contingents de Celtes. Le génocide, dans sa forme la plus horrible, s’est avéré être une arme de conquête, par excellence.
L’écrivain Grec Plutarque, l’un des derniers initiés des Mystères, nous rapporte que la population de la Gaule, avant l’arrivée de Jules César, était d’environ trois millions de personnes. Huit années plus tard, un million de Gaulois étaient morts et la moitié de ceux qui survécurent furent réduits à l’état d’esclaves et déracinés de façon permanente. Sans pour autant fermer les yeux sur d’autres épisodes de génocides dans l’antiquité (les récits des conquêtes militaires d’Alexandre le Grand en Asie glacent le sang), le massacre de Bourges établit le principe de la violence à l’encontre des Européens sur leurs propres terres. La conquête de la Gaule fut décrite comme «le plus grand désastre humain et social de toute l’histoire, avant la conquête des Amériques».71
Purge Intellectuelle
Avec la campagne de César, la violence génocidaire se répandit dans toute Europa, et non pas juste la violence à l’encontre de la vie physique mais aussi à l’encontre de la vie intellectuelle, tel qu’on peut le voir avec le meurtre d’Hypatia. 462 ans avant sa mort, César lui-même était dans Alexandrie, la ville natale d’Hypatia, confronté à un défi majeur dans sa carrière. Après les conquêtes de la Grande Bretagne et de la Gaule, la stratégie politique et militaire du général Romain fut largement déterminée par la compétition émanant de son archi-rival, Pompée. En fait, Pompée, tout autant que César, fut responsable de l’établissement des conditions qui allaient permettre au rédemptionnisme de se répandre en Europa. En l’an 62 avant EC, il annexa la Judée à l’Empire Romain. C’est ainsi que commença l’occupation Romaine de la Palestine, un événement qui fut tout autant décisif pour la Terre Sainte que pour Rome.
De la Palestine, Pompée se dirigea vers l’Egypte, une stratégie qui obligea César à se rendre à Alexandrie, en 47 avant EC, pour en débattre avec son rival. Leur confrontation eut lieu dans le port où étaient localisés la Bibliothèque Royale et le Muséum. César réussit à détruire la flotte Égyptienne que Pompée avait réquisitionnée et il occupa alors la cité. Il se retrouva très rapidement au lit avec Cléopatre. Très soudainement, des forces restées loyales au pharaon lancèrent un mouvement de résistance et le vieux guerrier se retrouva piégé avec des ressources militaires insuffisantes pour se défendre.
Ce qui arriva ensuite est le sujet d’une douzaine de récits incomplets et contradictoires. Selon la propre version, par César, des événements dans les “Guerres Civiles”, il mit le feu aux quais et au reste de la flotte d’Alexandrie afin de couvrir sa fuite de la cité. Il ne mentionne pas la Bibliothèque Royale mais il y mit le feu également selon le témoignage écrit de l’historien Romain, Ammanius Marcellinus (aux alentours de l’an 395), qui affirma que la responsabilité de César pour cet incendie était «l’avis unanime de tous les anciens auteurs». Sénèque le Jeune rapporta dans son essai “Sur la tranquillité de l’âme” (“De tranquillitate animi”) (rédigé entre 47 et 62) que 400 000 manuscrits furent brûlés mais cette figure a aussi été interprétée comme étant 40 000. Dans l’idiome ancien, un “ouvrage”, ou un “manuscrit”, était une monographie ou un essai plutôt qu’un livre entier. Néanmoins, 40 000 essais, cela fait beaucoup d’essais. Les Codex de Nag Hammadi ne comprennent seulement que 52 oeuvres fragmentaires, pas vraiment des essais mais juste des notes sporadiques sur des conférences dont seulement 30 textes possèdent un contenu substantiel. Ils contiennent de 4 à 40 pages. C’est tout ce qui reste pour nous permettre d’imaginer ce qui pourrait avoir été conservé dans les salles gigantesques de la Bibliothèque Royale d’Alexandrie.
C’est certainement un fait marquant que Jules César, qui commit le premier génocide à grande échelle sur le sol Européen, soit aussi sans doute celui qui, le premier, mit le feu à la Bibliothèque Royale d’Alexandrie. Bien que l’on ne puisse pas prouver qu’il le fit délibérément, il ne pouvait pas rester ignorant du fait que la Bibliothèque eût pris feu suite à l’incendie qu’il commanda de déclencher. Accident ou non, dans le cas de César, la purge intellectuelle va toujours de pair avec le génocide politique.
Les bibliothèques au port d’Alexandrie allaient brûler plusieurs fois encore au fil des siècles suivants. Lorsqu’Hypatia avait environ treize ans d’âge, une foule déchaînée de Chrétiens mit le feu au Serapeum et s’assura qu’il brûlât jusqu’aux fondations. Pas un seul manuscrit ne survécut sur les étagères réduites en cendres. Longtemps après sa mort, les Arabes qui occupaient la cité continuèrent l’assaut incendiaire. En l’an 641, Amru, le général d’Omar, le second dans la succession du Prophète, alimenta les fourneaux des 4000 bains d’Alexandrie, durant six mois, avec les ouvrages qui restaient dans le Bruchion.72
D’autres bibliothèques, dans le Bassin Méditerranéen, souffrirent de la même destinée. Dans sa montée au pouvoir, l’Église Romaine ordonna spécifiquement que tous les ouvrages Gnostiques soient recherchés afin de les brûler. Ptolémée Phyladelphus rassembla 270 000 documents qui furent brûlés pour la même raison. Baptisé en 380, l’empereur Théodosius, qui gouverna entre 379 et 395, se donna comme mission personnelle d’éradiquer toutes traces de la littérature Gnostique et Païenne. Théodosius fit brûler 27 000 manuscrits des Ecoles de Mystères parce qu’on lui avait dit qu’ils contenaient des enseignements Gnostiques contraires au système de croyances qu’il avait adopté.73 Cette politique de purge intellectuelle ne fut pas établie par César mais la latitude de détruire impunément tous les écrits Païens avait été mise en place par ses actes et chaque empereur Romain christianisé allait suivre son exemple. D’Alésia en 52 avant EC jusqu’à Alexandrie en 47 avant EC, il n’y a seulement que cinq années. C’est tout ce qui sépare les deux actes décisifs de génocide politique et intellectuel dans l’antiquité Païenne.
En 386, alors qu’Hypatia avait 16 ans, les rituels Païens furent interdits par décret de l’État. A partir de ce moment, les sanctuaires populaires et les temples des Mystères furent vandalisés de plus en plus fréquemment, ouvertement et violemment. Lorsqu’Alaric, le chef guerrier des Goths, envahit la Grèce en l’an 396, le dernier hiérophante officiel d’Eleusis était déjà mort et il ne subsistait qu’une poignée d’initiés. Le philosophe Néo-Platonicien, Eunape de Sarde, qui pourrait avoir enseigné Hypatia, était l’un de ces derniers. Décrivant comment les convertis Chrétiens se précipitaient vers les anciens sanctuaires détruits par les envahisseurs Goths, il déplora «le manque de sens divin de tous ceux qui, dans leurs vêtements sombres, entrèrent avec Alaric sans se préoccuper de la dissolution des règles hiérophantiques et de la relation sacrée qu’elles incarnaient.»74
En raison de la politique des historiens de l’Église de n’écrire que des faits qui montraient leur institution sous un jour favorable, et de détruire tous les récits contraires, un tel témoignage est extrêmement rare. Les récits des meurtres de Païens par des Chrétiens sont rares mais il est plus que vraisemblable qu’un très grand nombre d’enseignants et d’étudiants des Ecoles de Mystères furent massacrés. Selon l’historien Byzantin Procopius (vers 562), dans la seule contrée de la Syrie, ce furent un million de Païens, de polythéistes et d’hérétiques, incluant de très nombreux Gnostiques, qui furent exterminés par l’empereur Justinien «durant la persécution systématique mise en oeuvre par ce bigot pédant».75 Avalisée par une divinité extraterrestre, l’Église Romaine commit de telles horreurs en toute impunité et sans aucune crainte de représailles.
Un millier d’années plus tard, dans les Amériques, un drame parallèle se déroula. «Les Indiens furent dépouillés et massacrés pour le plaisir parce que les blancs Chrétiens n’étaient pas rendus responsables des sévices pratiqués à l’encontre de non-Chrétiens». Avec cette vague de crime génocidaire, les envahisseurs Européens mettaient en oeuvre la même violence qui avait été infligée à leurs ancêtres à l’ère du Christianisme primitif – un exemple clair et net de collusion victime-perpétrateur.76 Ainsi que Mavor et Dix l’observent dans “Manitou”, «l’histoire de l’Amérique ne suggère jamais que les croyances religieuses des hommes blancs puissent être un problème»77 De même, l’histoire de l’Europe ne suggère jamais que dans le triomphe du Christianisme sur le Paganisme, les croyances religieuses des Chrétiens inspirèrent et légitimèrent leurs actes génocidaires.
Lorsqu’Hypatia avait une vingtaine d’années, l’orateur Latin Libanius écrivit à Théodosius pour protester contre la profanation des sanctuaires Païens:
«Les moines se répandent comme des torrents dans la campagne; et en détruisant les temples, ils détruisent en même temps les campagnes. Car ôter d’une région le temple qui le protège est comme arracher son oeil, la tuer, l’anéantir. Les temples sont la vie même de la campagne et autour d’eux sont bâtis les maisons et les villages et sous leur protection, des générations ont été élevées jusqu’à ces jours».78
Le plaidoyer de Libanius témoigne du fait qu’il identifia l’activité intellectuelle et spirituelle, réalisée dans les temples, avec la force de vie de leur environnement naturel. Pour la mentalité Païenne, la destruction de ces centres de vie intellectuelle et d’apprentissage constituait un acte de violence dirigé non pas contre les gens qui les fréquentaient mais bien plutôt contre la Nature elle-même: «et en détruisant les temples, ils détruisent en même temps les campagnes». Les sanctuaires et les écoles du réseau des Mystères constituaient les yeux et les organes de la culture Païenne. La frénésie Chrétienne, à l’encontre de la religion Païenne, se déchaîna jusqu’à des extrêmes nécrophiles. Après que l’organisme fût massacré, son cadavre fut violé. En l’an 400, l’année où Hypatia assuma ses charges universitaires au Muséum d’Alexandrie, Eunape de Sardes rapporta que les moines Chrétiens «vivaient comme des porcs dans les lieux sacrés».79
Au temps de César, les républicains Romains, tels que Cicéron et Caton, pouvaient ouvertement le traiter de criminel de guerre mais, plus tard, toute dissension fut strictement supprimée par les empereurs. Après que l’Empire Romain eût fusionné avec l’Église Catholique, les crimes de guerre furent légitimés au nom du Sauveur. Les perpétrateurs adoptèrent la croyance rédemptionniste comme couverture religieuse afin de justifier leurs actions au travers d’une autorité suprahumaine. Ils transformèrent leurs victimes en criminels en condamnant les plus menaçants comme hérétiques et en ciblant tous les Païens, juste parce qu’ils étaient Païens. Infectés par le virus idéologique du rédemptionnisme, les natifs Européens s’engagèrent sur une voie d’auto-annihilation et ce fut l’émergence de ce que l’on appela l’Age des Ténèbres.
Vu de notre époque, et avec la distance historique existante, il est très difficile d’imaginer comment un peuple put attaquer et démanteler sa propre culture en annihilant les fondements mêmes de leur existence culturelle et historique. Mais, si nous pouvions véritablement imaginer ce qui se passa alors, ne nous serait-il pas plus facile de comprendre ce que nous sommes en train de nous infliger aujourd’hui, sur toute la surface de la planète?