Extase et Révolution: 03. Le Shamanisme Télestique et la Lumière Organique

John Lash. Je souhaite amener des précisions concernant un commentaire, que j’ai présenté lors de la seconde émission, à propos du fait que l’expérience mystique authentique, selon ma conception, requiert d’être induite ou accompagnée par l’ingestion de plantes psychoactives. J’ai proféré cette assertion de manière, sans doute, trop imprécise et approximative. Et je voudrais aujourd’hui apporter certaines explications parce que c’est assurément une problématique très importante.

Les expériences mystiques participent de l’héritage de notre espèce: les expériences religieuses et spirituelles de nature extatique, de nature visionnaire, ont été vécues bien avant que l’on ne commence à les consigner par écrit. Je ne voudrais pas dénier la nécessité de ces expériences pour notre évolution en tant qu’espèce. Cependant, je crois également, si je puis m’exprimer en termes Gnostiques, que nous devons utiliser notre mental rationnel pour évaluer correctement ces expériences et également pour en élaborer une approche adéquate. On me demande souvent: «pourquoi ne pouvons-nous pas avoir des expériences religieuses ou mystiques par nos propres moyens sans ingérer des champignons ou quelque autre espèce de plante psychoactive?». Et bien, il faut préciser que les expériences mystiques consignées, que vous pouvez lire par exemple chez Maître Eckhart ou Jacob Boehme, ne furent pas vécues entièrement sans assistance. Elles furent réalisées grâce à des exercices – méditation, jeûne, prières, privations – et à d’autres procédures très élaborées pratiquées par tous ceux qui souhaitaient atteindre des états altérés au travers desquels ils pouvaient faire l’expérience de la présence du divin et avoir une connaissance extatique des matières divines. Même s’il est vrai que ces expériences, qui sont réalisées sans l’ingestion de plantes psychoactives, requièrent un certain travail, je veux cependant préciser que lorsqu’elles se manifestent par l’entremise de nos facultés propres, pour ainsi dire, elles ne génèrent pas nécessairement un résultat que je qualifierais d’éveil planétaire ou de connexion planétaire.

Très souvent, elles amènent à ce que j’appelle l’équation Dieu/Soi et j’aborde cette problématique, de manière approfondie, dans mon ouvrage “La Passion de la Terre” (ouvrage n°2 de la Collection Liberterre). Je me méfie beaucoup de toutes les expériences religieuses qui induisent l’équation Dieu/Soi. Je subodore que ces expériences ne sont réellement qu’une expression de narcissisme humain ou bien de ce que Carl Jung appelait une inflation archétypique de l’ego. Par contraste, l’essence de l’expérience religieuse authentique a été définie il y a plus d’un siècle par William James (1842-1910), je pense, dans son ouvrage “Les formes multiples de l’expérience religieuse”, ou par quelqu’un d’autre à cette même époque. La signature fondamentale de l’expérience religieuse authentique est ce qu’on a appelé “le sentiment océanique”, la sensation que votre être est dans l’océan, que vous êtes un océan d’être (NDT: cette expression de “sentiment océanique” est due au philosophe Romain Rolland. 1866-1944).

Je me reconnais totalement dans le sentiment océanique, je me reconnais également dans le sentiment d’unité ou plutôt dans le sentiment d’individualité et d’unité. Imaginez un sentiment d’unité avec le cosmos qui n’exclut pas votre individualité mais qui, bien plutôt, l’intègre. Et ce sont, du moins selon ma conception et mes expériences individuelles, les marques indélébiles et universelles de toutes les expériences religieuses authentiques. Cependant, je deviens extrêmement suspicieux lorsqu’elles sont transposées dans une théologie d’équation Dieu/Soi, lorsque ces expériences sont décryptées, converties ou interprétées en fonction de n’importe quel système ressemblant à de la théologie Judéo-Chrétienne, à savoir avec un dieu créateur en relation avec ses créatures. Je rejette absolument toutes ces formulations et je crois que, même si elles procèdent d’expériences mystiques authentiques, elles sont modulées et cooptées par une doctrine extraterrestre qui, intrinsèquement, prohibe de telles expériences. Je conseillerais, à tout un chacun, de rester très prudent vis à vis d’expériences religieuses qui tendent à être formulées de cette manière et de garder l’esprit ouvert quant à un autre mode de les formuler, plus ou moins en fonction de ce j’appellerais des perspectives planétaires ou Gaïennes que je vais évoquer de façon plus approfondie dans cet échange.

Joanna Harcourt-Smith. Je pense que tout cela est exactement spécifié par l’expression “expérience religieuse”. Je pense que nous ne sommes pas en train de parler d’une “expérience religieuse”. Nous parlons d’une expérience de partage, d’être en connexion avec tout ce qui existe. A l’époque où je passai du temps avec Terence McKenna, je n’avais pas partagé de “plantes médicinales” pendant une certaine période. J’étais très intéressée par toute cette problématique et j’ai posé la question suivante à Terence: «pouvons-nous bénéficier d’une expansion de la conscience sans ces plantes sacrées?» Et il me répondit: «absolument pas». Et cela m’a donné beaucoup à penser.

John Lash. Dans le contexte de ces échanges, je souhaiterais être aussi clair et aussi exhaustif que possible parce que je considère que cela constitue une des problématiques les plus cruciales en ce qui concerne le mysticisme expérimental, tel que j’aime l’appeler. Je préfère utiliser l’expression “expérience mystique” plutôt que “expérience religieuse”. Personnellement, je rejette toute religion de type doctrinaire ou institutionnel. Je pense que nous avons pris conscience, par l’entremise de la Thèse Wasson, qu’il existe un conflit, sur cette planète, entre la religion et l’expérience religieuse authentique. Le problème est que la religion depuis des temps très très lointains, à savoir des milliers d’années, dans sa structure doctrinaire, hiérarchique, institutionnelle et patriarcale – imposant l’autorité du dieu paternel, la répression de la Déesse et de ses secrets, etc – à conduit à une scission schizophrénique: nous avons, d’un côté, la religion et, de l’autre côté, l’expérience religieuse et mystique authentique et ce sont des parallèles qui ne se rencontreront jamais. Et si l’on me demandait de définir le plus grave problème auquel l’humanité soit confrontée, je dirais probablement que c’est celui-là. Cela n’est pas aisé pour moi de m’exprimer ainsi et je ne le fais pas à la légère parce que cela me met dans une position où je rabaisse, où je dénigre les expériences religieuses vécues par des millions d’individus: ceux qui vont à l’église, ceux qui chantent ses louanges, ceux qui prient vers la Mecque et ainsi de suite. Mais c’est bien en fait ce que je fais et j’en suis venu au point d’affirmer, en toute conscience et avec force, que tout cela ne constitue pas une expérience religieuse. Ce n’est que du zombisme religieux.

Joanna Harcourt-Smith. Mais comment peux-tu ignorer les expériences de Thérèse d’Avila ou d’autres mystiques?

John Lash. Dans ce cas, de nouveau, il nous faut faire une distinction entre une expérience authentique et ce que l’on en fait lorsque elle est formulée et communiquée à autrui. Je vais donner l’exemple de quelqu’un qui est hautement équivoque à cet égard, à savoir William Blake, le grand poète mystique et visionnaire Britannique. Il fut un mystique authentique, je pense, qui vécut ses propres expériences et ce, totalement à partir de ses propres facultés. Consommait-il des champignons? Je n’en sais rien, mais il en croissait en abondance là où il vivait. Mais William Blake, en tant que mystique, resitua ses visions et sa poésie, qui est grandiose et sublime, en termes de l’Ancien Testament. Et cela est extrêmement déplorable, selon mon opinion, parce que cela donne, tout d’abord, une fausse crédibilité à l’Ancien Testament – qu’il ne mérite pas – et, secondement, parce que cela obscurcit et occulte la nature authentique du mysticisme de William Blake de par le fait qu’il recourt à une symbolique et à un jargon bibliques. Tout cela est affligeant. Le problème que nous évoquons aujourd’hui est cette scission et c’est assurément une scission schizoïde entre ceux qui suivent la religion, en tant que telle, et ceux qui explorent le mysticisme et les dimensions spirituelles de la conscience. L’un des symptômes de cette scission est le fait que les mystiques authentiques, de toutes les époques, dans les religions Abrahamiques – le Judaïsme, l’Islam et le Christianisme – ont tous été marginalisés; il se peut que le soufisme, par exemple, présente une  dimension mystique authentique de l’Islam, je ne sais pas, je n’en suis pas vraiment sûr.

Joanna Harcourt-Smith. Et que penses-tu de Rumi?

John Lash. Rumi, le poète, le mystique Soufi. Je trouve dans Rumi quelque chose de vibrant, de vital, de vivant qui incarne une expérience mystique authentique et directe en opposition avec tous les délires qui sont le propre de l’Islam. Ainsi, les mystiques authentiques, qui sont apparus au sein des diverses religions conventionnelles, ont-ils tous été marginalisés pour ne pas dire diabolisés et, dans une certaine mesure, on ne peut les trouver que sur la touche. Je soulignerais, cependant, que je bavardais avec un ami en Espagne, il y a deux ans, qui mentionna un article qu’il venait de lire et qui citait des passages des archives de l’Inquisition et dans ces passages, certains responsables de l’Inquisition en Espagne, à Séville, “questionnèrent” la célèbre mystique Thérèse d’Avila et au cours des interrogatoires caractéristiques – que l’Inquisition pratiquait à l’encontre de gens qu’ils torturaient et assassinaient – Thérèse d’Avila évoque l’ingestion de champignons. Bref, il est difficile de savoir ce qui est vrai mais il est nécessaire d’étudier les histoires afin de découvrir ce qui se passait réellement. Mais s’il est vrai que Thérèse d’Avila consomma des champignons enthéogéniques et qu’elle vécut la transe visionnaire induite par les plantes sacrées, je dirais que rien de tout cela ne transparaît dans tout le baratin qui a été élaboré autour de la vie de Thérèse d’Avila et dans la manière dont ces expériences ont été manipulées pour se conformer au moule chrétien.

Joanna Harcourt-Smith. Pourrions-nous évoquer maintenant ton histoire personnelle? Je suis très désireuse de connaître ce que furent tes expériences d’éveil.

John Lash. Je n’ai pas l’habitude de m’épancher sur mon histoire personnelle et dans la plupart des occasions, je préfère prétexter que je n’en ai pas. Pour cette occasion spéciale, je vais prétendre que j’en ai une. En fait, je pense que mon expérience a été très heureuse. Je considère que j’ai eu beaucoup de chance parce qu’en fait j’ai vécu des expériences mystiques en dehors de la religion, en dehors des institutions et des dogmes religieux dès mon tout jeune âge en commençant par des rêves lucides à l’âge de quatre ans. Et bien que j’argumente fortement en faveur du type d’expérimentations mystiques procédant des plantes sacrées, je dois admettre que j’ai vécu des expériences mystiques en toute spontanéité sans avoir recours à ces plantes sacrées.

Joanna Harcourt-Smith. Tu n’ingérais pas de plantes sacrées lorsque tu avais quatre ans d’âge?

John Lash. (Rires) Non. Et j’ai vécu un certain nombre d’expériences mystiques intenses avant d’avoir consommé des plantes sacrées, à savoir des champignons magiques, des Psilocybes. Si vous le souhaitez, vous pouvez consulter le récit de mes deux rencontres avec la Lumière Organique sur mon site Metahistory, dans un essai nommé  “Honeycomb Light of the Christos”, que j’ai vécues sans influence d’une quelconque substance. Elles y sont décrites avec moult détails. Lorsque j’avais environ vingt ans, je découvris un ouvrage de Maurice Bucke “Conscience cosmique: Une étude dans l’évolution de l’esprit humain”, qui fut écrit en 1901. Ce n’est pas un très bon ouvrage et certains points de ce livre sont relativement exécrables mais, à son époque, ce fut un livre pionnier à un égard. Maurice Bucke (1837- 1902), qui était un psychologue Canadien et un ami intime de Williams James, vécut lui-même une expérience mystique spontanée d’être dans un feu vivant et de s’éveiller soudainement à un sens du divin, un sens de notre mission et de notre bonté universelle. Il caractérisa tout cela et déclina douze caractéristiques de ce qu’il appelle, dans son ouvrage, l’état cosmique. Ce qui fut véritablement novateur dans cet ouvrage, qui fut publié la même année que l’ouvrage de Sigmund Freud “L’interprétation des rêves”, c’est que Bucke affirma qu’il est naturel pour l’humanité de vivre des expériences spontanées de conscience cosmique; il était persuadé que ces expériences devenaient de plus en plus fréquentes. Et je pense qu’à cet égard, malgré les erreurs et les éléments dépassés de son livre, l’affirmation de Bucke reste très valable de nos jours. J’ai récemment lu, l’année passée, l’ouvrage étonnant de Stan Grof “Quand l’impossible arrive: Aventures dans les réalités non ordinaires”. Stan Grof a introduit la notion “d’urgence spirituelle”: c’est ce qui se passe lorsque les gens tombent spontanément dans des états paranormaux, lorsqu’ils passent par des états altérés de conscience, lorsqu’ils vivent des expériences psychiques ou télépathiques, et également des éveils spirituels et mystiques de divers types. Stan Grof, dont la carrière englobe les trois générations de psychonautiques, a consigné littéralement des centaines de cas de ces expériences incluant les siennes. Et d’une certaine manière, les ouvrages et les inventaires de ces expériences de Grof valident ce que Bucke affirmait, à savoir que notre espèce est en train de vivre quelque chose qui permet à des êtres humains, de plus en plus nombreux, de faire l’expérience d’un éveil spirituel totalement spontané. Et je les ai vécues.

Joanna Harcourt-Smith. Désolé John, mais je suis perplexe. Nous avons évoqué l’assertion de Terence McKenna selon laquelle il n’est pas possible de vivre un éveil authentique sans un recours aux plantes sacrées. Et, de plus, tu as dit toi-même qu’il n’existe pas d’expérience spirituelle primordiale sans l’utilisation de ces plantes sacrées. Je souhaiterais que l’on revienne sur ce point parce que tu parles de tes propres expériences et des expériences consignées par Stan Grof. Pourrais-tu offrir quelques éclaircissements?

John Lash. Il est vrai que la manière dont je présente tout cela peut paraître un peu déroutante. Permettez-moi donc de clarifier précisément là où je veux en venir. Selon ma compréhension, l’assertion de Bucke, qui de nos jours a été validée par de nombreux cas, consignés par Stan Grof et bien d’autres, stipule qu’il existe un aperçu initial de conscience cosmique, un aperçu initial d’un état augmenté de conscience, qui émerge spontanément, qui peut se manifester sans l’assistance d’aucune substance et sans l’assistance même d’ascèses religieuses, telles que la méditation ou le jeûne. Le problème qui surgit alors est le suivant: que faisons-nous de cet aperçu initial?

Ce que je veux mettre en exergue: vers où cette expérience vous emmène-t-elle? Allez-vous rester là avec cette expérience ou bien est-ce possible, lorsque vous bénéficiez de cet aperçu ou ouverture vers une conscience supérieure, de vous engager plus avant et systématiquement vers ce type de conscience? Vous voyez, il n’est pas contradictoire d’affirmer que ces expériences émergent spontanément parce que nous restons confrontés aux questions essentielles: à savoir premièrement celle de l’interprétation de ces expériences et secondement  celle des voies permettant de prolonger ces expériences, permettant de s’impliquer de manière pérenne dans des états altérés supérieurs de conscience. Et j’estime que ce sont les plantes sacrées qui pourvoient les réponses à ces deux questions. J’approuve l’utilisation des plantes sacrées sans pour autant en faire la promotion. Mais je les revendique comme étant l’outil primordial donné à notre espèce pour l’instruction intensive et pour l’accompagnement discipliné vers une conscience supérieure.

Joanna Harcourt-Smith. Je t’ai interrompu dans ton exposé. Pourrions-nous revenir à l’évocation de tes expériences personnelles?

John Lash. Je pense que j’ai extrait de moi-même tout ce que je puis dire à cet égard dans le sens où j’ai vécu deux expériences primordiales avec la Lumière Organique, que j’ai décrites sur mon site. Je préférerais maintenant évoquer ce que cela veut dire de faire l’expérience de la Lumière Organique.  C’est peut-être ce que nous pouvons faire dans la seconde moitié de cette émission. Avant cela, permettez-moi de reformuler mon positionnement concernant l’utilisation de plantes sacrées instructrices: elles constituent un outil d’instruction intensive et de maintien de notre connexion avec l’Intelligence Planétaire. Les plantes qui sont offertes par Gaïa nous conduisent dans ses circuits qui incluent ses circuits d’extase – qui sont des espaces particuliers en lesquels on peut aller – ses conduits qui sont ses canaux organiques au travers desquels son intelligence fuse dans l’atmosphère de la planète, ainsi que des régions du corps planétaire que j’appelle des chroniques, en lesquelles les intensités humaines sont enregistrées et consignées parce que le corps de Gaïa, en fait, enregistre les intensités de toutes les espèces animales; et lorsque l’on est capable de pénétrer plus profondément dans le corps de Gaïa, dans un état altéré de conscience, on découvre que ces intensités sont pour ainsi dire codées dans ses circuits et on peut les lire comme un script. Je pense et je crois – et c’est mon dernier mot à cet égard – que le mysticisme d’orientation Gaïenne doit être fondé sur une connaissance intime des plantes sacrées qu’elle pourvoit spécifiquement pour ce propos. Des plantes sacrées qui induisent des transes visionnaires, des guérisons, des états extraordinaires de plaisir et, pourrais-je ajouter – et c’est un sujet que je vais bientôt aborder sur le site de la Métahistoire – la faculté de blesser et de tuer, parce que cette faculté est également contenue dans certaines des plantes sacrées qui ont été utilisées dans la tradition shamanique.

Joanna Harcourt-Smith. Pourrais-tu présenter quelques éclaircissements sur ce dernier point?

John Lash. Je ne souhaite pas vraiment pas développer ce sujet mais je vais juste souligner un point que je considère être une omission importante. A partir de la seconde génération de psychonautes, on a beaucoup parlé et écrit sur le shamanisme et tout cela s’est grandement intensifié depuis 1995 dans la troisième génération de psychonautes. Il faut être réaliste, le shamanisme est devenu un sujet conventionnel. De nombreuses personnes prétendent être shamans et il est clair qu’il existe beaucoup de shamans authentiques. Lorsque l’on élabore un modèle de ce qu’est le shamanisme, fondé sur ses pratiques traditionnelles, on découvre six ou sept actions réalisées traditionnellement par un shaman. Le shaman danse, part en transe extatique, fait un vol magique dans le monde inférieur, découvre des substances médicinales, communique avec les esprits de la Nature, avec les animaux de pouvoir, ou les esprits des défunts, etc. Le modèle initial de shamanisme, proposé par Mircea Eliade durant la première génération, était très limité, circonscrit à l’anthropologie Sibérienne qui existait à cette époque. Nous avons maintenant élargi immensément ce modèle de shamanisme et nous pouvons reconnaître que divers éléments ou diverses pratiques participent de la mission du shaman. Je voudrais, cependant, souligner une omission importante dans le débat courant concernant le shamanisme. Il existe une autre pratique qui est essentielle au shamanisme dans toutes les cultures: afin d’être capables de guérir des êtres humains, les shamans doivent être également capables de les blesser; afin de maîtriser la connaissance et l’expertise des plantes sacrées, les shamans apprennent également comment utiliser les pouvoirs de ces plantes pour blesser et pour tuer. Et ce facteur, dans le rôle traditionnel du shaman, a été complètement occulté dans les débats courants concernant le shamanisme.

Joanna Harcourt-Smith. Bien, je pense que le type de shaman dont j’aurais besoin serait un shaman qui aide à interpréter ces états d’être durant les cérémonies ayant recours aux plantes sacrées et je veux parler des expériences de communion avec Gaïa, d’écoute de Gaïa. Tu as évoqué des conduits, des chroniques, et tu parles de lire les scripts de Gaïa. Je serais encline à penser que nous avons besoin de shamans qui nous aident à comprendre tout cela.

John Lash. Cela également, comme tu le sais, serait ma plus chère aspiration. Et si je ne suis pas totalement frappé et déraillé, une grande partie de ce que j’ai écrit, ces dernières années, a été consacrée à cette mission. J’aimerais introduire la possibilité d’un mysticisme planétaire Gaïen, d’un shamanisme Gaïen. Et c’est exactement la définition du shamanisme Télestique, en phase avec le titre de cette émission. Lorsque nous abordons ce sujet, de nombreux lecteurs vont soulever la question suivante: comment pouvons-nous distinguer les voies particulières du shamanisme Gaïen de toutes les autres expériences des psychonautes, des transes enthéogéniques et des expérimentations mystiques qui sont vécues avec beaucoup d’intensité depuis de nombreuses années? Je proposerais que cette distinction soit faite de manière simple et élégante. Cette distinction repose sur le fait que le psychonaute rencontre ou ne rencontre pas directement la Lumière Organique. Si le psychonaute ingère, par exemple, de l’ayahuasca et fait l’expérience d’un certain nombre de visions, les yeux fermés ou les yeux ouverts, ces visions et ces hallucinations peuvent être d’authentiques hallucinations comme l’a précisé Terence McKenna. Et mon propos n’est pas d’invalider l’une ou l’autre de ces expériences: elles sont toutes valides selon leurs propres termes. Ce que je cherche à faire, c’est de bien distinguer, d’une part, ces expériences de visions hallucinatoires et, d’autre part, la concentration spécifique qui génère une contemplation directe de la Lumière Organique. C’est une forme particulière de concentration, une manière particulière de diriger la transe visionnaire, non pas de la contrôler – car elle ne peut pas être contrôlée – une manière particulière de focaliser la transe visionnaire induite par des plantes psychoactives afin que le psychonaute puisse percevoir la Lumière Organique. C’était, selon la compréhension que j’en ai, la finalité des anciens Mystères du monde Païen. Et il existe, de nos jours, assez de preuves et de témoignages, sous forme écrite, émanant de personnes qui ont perçu cette Lumière. Il y avait, néanmoins, un voeu secret connecté avec l’expérience de la perception de la Lumière Organique qui limitait ce qui pouvait en être dit publiquement. Et avant que mon ouvrage ne fût publié en 2006 (La Passion de la Terre), personne n’a transgressé ce voeu, pour autant que je sache, afin d’évoquer plus explicitement la nature et la perception de la Lumière Organique.

Joanna Harcourt-Smith. Peux-tu nous dire maintenant, sur la radio de Future Primitive, pour la première fois, ce qu’est la Lumière Organique?

John Lash. C’est mon grand plaisir d’en parler. La Lumière Organique est, tout d’abord, un phénomène de la Nature dont on fait l’expérience dans un état de perception supérieure et spécialement au travers de l’effacement de l’ego qui se manifeste spécifiquement avec les plantes psychoactives. L’ego s’efface, on pénètre dans un état dépourvu de soi, on pénètre dans un état d’immersion extatique dans la Nature, et, dans le spectre total des choses qui peuvent être perçues dans cet état, il existe un phénomène qui surpasse suprêmement tous les autres, à savoir la contemplation directe de la Lumière Organique. C’est un phénomène que tout un chacun peut vivre s’il approche l’expérience en toute sobriété et discipline et, facteur des plus importants, s’il y applique un degré suffisant de concentration ainsi qu’une délicatesse de concentration. La perception de la Lumière Organique constitue un état extrêmement subtil de conscience supérieure. J’ai lu, durant ces dernières années, de nombreux témoignages, collectés par Stan Grof, Ralf Metzner et d’autres, de très nombreuses expériences psychonautiques de personnes qui ont perçu des choses et je crois fermement qu’une grande partie de ces gens ont été très proches de la perception de la Lumière Organique: en fait, il se peut qu’ils l’aient perçue sans en prendre conscience. La vision de la Lumière Organique requiert un état de concentration exceptionnellement intense, un type de concentration parfaite et stable qui, en même temps, est douce. Elle ne force pas la perception, on ne peut pas forcer la perception de la Lumière Organique. C’est donc la première manière de la caractériser. Il en existe une seconde caractérisation qui est extrêmement importante et vous trouvez cette description dans plusieurs passages de mon ouvrage lorsque je fais référence à la Lumière Organique comme étant le corps de substance primordiale de la déesse. Dans le chapitre sur les “Ecoles de la Co-évolution” de cet ouvrage (La Passion de la Terre), il existe une section appelée “Shakti et Sophia” et j’y décline des parallèles entre le mysticisme Sophianique des Mystères et le mysticisme Shakti du Tantra Hindou. Et, selon mon opinion, il existe un parallèle entre Sophia, Gaïa, Shakti; on peut fusionner toutes ces dénominations. L’un des éléments qui est des plus clairs dans les enseignements Tantriques, c’est que la déesse, celle qu’ils appellent Devi, la déesse suprême, devient le monde naturel tout en restant, en même temps, exactement ce qu’elle est. C’est une assertion fascinante à digérer, avant ou après le petit déjeuner, par n’importe quel jour de ciel clair.

Je dirais donc, si vous pouvez digérer cette question, que cela va suggérer une seconde question: si la déesse suprême, qui est Shakti-Sophia, se métamorphose en un monde planétaire tout en restant, en même temps, exactement ce qu’elle était, quelle était donc sa nature avant une telle transformation? J’ai très souvent souligné que le mythe planétaire de Sophia, dans les Mystères, est unique. Parmi tous les mythes que j’ai étudiés durant ma carrière, en tant que spécialiste des mythologies comparées, ce mythe est unique parce que non seulement nous donne-t-il une caractérisation magnifique de la planète en tant que déesse vivante mais, qu’en plus, nous explique-t-il qui était cette déesse et quelle est son origine avant qu’elle ne se transforme en la Terre.  Cette notion, donc, selon laquelle la déesse Shakti-Sophia est à la fois la Terre et une forme divine, est très importante pour la compréhension de la Lumière Organique. La planète elle-même, en laquelle nous vivons et demeurons, est le corps planétaire de la déesse. La Lumière Organique est le corps de substance primordiale de la déesse.

Joanna Harcourt-Smith. Serait-ce la même chose que le plasma que tu évoques parfois?

John Lash. Pas exactement, le plasma est un terme que j’ai utilisé il y a de nombreuses années. Le plasma est l’un des neuf phénomènes/reflets de la Lumière Organique dans le monde naturel. Je ne vais pas les décliner tous mais je vais en évoquer quelques-uns parce qu’il peut être bénéfique de mieux appréhender cette notion. Il est possible que ceux d’entre vous qui écoutent cette émission entendent parler de ce concept pour la première fois. Il est également possible que vous l’ayez rencontré dans mon oeuvre – le concept de Lumière Organique est, je pense, unique à mes écrits – et que vous ayez été perplexes quant à la nature de ce phénomène. Je vais tenter d’être le plus explicite possible. Il est vrai que j’ai brisé ce voeu et c’est intéressant parce que les voeux sont pris pour être brisés. La raison pour laquelle les initiés prenaient ce voeu était très simple. Durant l’époque classique, lorsqu’ils pratiquaient les Mystères d’Eleusis, il ne s’agissait pas du tout pour eux de protéger un statut d’élite ou d’interdire les Mystères à la population: c’était plutôt une manière de protéger l’expérience des néophytes et, en protégeant cette expérience de la Lumière Organique, ils étaient capables de maintenir la tradition consistant à la révéler au fil de très nombreuses générations. Et donc bien sûr, lorsque l’on arrive à l’époque de Platon, les Mystères d’Eleusis, pour ne prendre que cet exemple parmi de nombreux autres, avaient une tradition de révélation de la Lumière Organique qui remontait à deux mille ans. Ils utilisaient le voeu de secret tout simplement pour créer une séparation entre le sacré et le profane afin de protéger cette expérience et afin que l’on n’en débatte pas – parce que lorsque quelque chose est débattue sur la place publique et qu’elle est traduite en une forme conditionnée de compréhension, il existe un risque de perte.

Ce que j’ai révélé, et qui n’a jamais été révélé auparavant, c’est la manière dont on peut percevoir la Lumière Organique et la description des qualités de ce phénomène. Le point le plus important, des quelques éléments que je pourrais mettre en valeur, est le suivant: la Lumière Organique n’est pas aveuglante; elle n’est pas dure; ce n’est pas une lumière étincelante, comme un éclair, qui vous irradie de l’extérieur; et elle ne peut pas être détectée dans un espace vide. La Lumière Organique est détectée dans votre perception de masse matérielle. En fait, lorsque vous êtes en pleine transe visionnaire, avec le niveau de concentration requis, vous percevez que la matière flotte dans la Lumière Organique. On peut réellement la considérer comme la Lumière à l’intérieur mais cela ne veut pas dire à l’intérieur de votre tête ou de votre mental ou encore à l’intérieur de quelque dimension mystérieuse. C’est la Lumière au sein des choses matérielles. Et donc, de façon caractéristique, dans le Telesterion, le sanctuaire intérieur de révélation que les initiés ou Gnostiques utilisaient, il existait de nombreuses colonnes de marbre. Et le marbre, l’albâtre et la perle sont des substances utiles pour révéler la Lumière Organique à la vision intérieure parce qu’elles semblent être comme la Lumière elle-même. Imaginez que vous teniez à la main une grosse perle et que vous la contempliez – de préférence au crépuscule ou dans la nuit à l’aide d’une lampe – vous en percevez la beauté, la couleur et la substance et vous allez vous apercevoir progressivement que cette perle flotte, en réalité, dans une lumière; mais vous ne pouvez pas voir la Lumière en laquelle elle flotte dans un espace vide. Vous ne pouvez percevoir la Lumière qu’en compagnie d’un objet qui y flotte.

Joanna Harcourt-Smith. Maintenant, je vais te poser une question très évidente. Cette lumière possède-t-elle une atmosphère et pourrions-nous appeler cette atmosphère, l’amour?

John Lash. La Lumière possède une atmosphère; la rencontre directe avec la Lumière Organique génère une atmosphère avec le témoin, et elle gèle l’atmosphère autour du témoin. Mais je ne qualifierais pas cette Lumière d’amour. Je la caractériserais comme de la tendresse, une tendresse profonde et infinie, comme un émerveillement. Il existe une atmosphère de tendresse et d’émerveillement. Je peux avoir tort mais je soupçonne que de la caractériser comme amour pourrait amener une certaine attente humaine personnelle qui n’est sans doute pas adéquate. Cependant, cela étant dit, j’ajouterais que lorsque cette expérience de contemplation de la Lumière Organique est terminée, on se sent empli d’un sentiment débordant d’amour et de respect pour toute chose. Donc, tant bien même son aura n’est pas une aura d’amour, l’effet subséquent est indéniablement un sentiment d’amour.

Je pourrais ajouter quelques points afin de vous aider à vous approcher de ce phénomène extraordinaire. La Lumière possède une texture et je suis là à la limite de ce que je puis dire car il y a des informations que je ne veux pas divulguer. Il ne s’agit pas de se complaire dans des jeux secrets mais ces informations ne peuvent pas être dites afin qu’elles ne puissent pas interférer, par des notions préconçues, avec votre expérience d’approcher la Lumière. Voilà ce que je peux dire: elle possède une texture et, selon mon expérience de la Lumière Organique, dans presque toutes les occasions, le phénomène qui m’a permis de la contempler, c’est sa texture. Lorsque j’observe la texture, je contemple la Lumière. La texture est semblable à de la guimauve. Et c’est un phénomène extraordinaire, et j’ai aussi utilisé l’expression nougat – un nougat de couleur blanc perle – et c’est une chose extraordinaire à voir parce que vous ne pouvez pas la toucher de la manière dont vous touchez un objet matériel, mais tout ce que vous allez toucher possède la Lumière à l’intérieur. Et d’aller toucher des choses, avec la contemplation de cette Lumière, constitue une expérience extraordinaire. C’est certainement l’une des expériences les plus sublimes et les plus exaltantes que l’on puisse vivre.

Joanna Harcourt-Smith. Je vais maintenant poser une question très Capricornienne. Existe-t-il une application pratique de cette expérience de contemplation de la lumière?

John Lash. Pratique et super-pratique et super-super pratique. C’est un peu comment je la décrirais. Une des révélations les plus importantes de mon ouvrage, c’est que l’objectif de l’initiation dans les Mystères était l’instruction par la Lumière. Ces mots sont à encadrer: Instruction par la Lumière. Le propos des Mystères n’était pas que les initiés pénètrent dans un état de conscience divine au travers duquel ils devenaient soudainement similaires à Dieu et avaient une sorte de révélation narcissique d’ô combien fantastiques ils étaient. C’était plutôt une expérience humble d’instruction directe émanant de cette Lumière parce que la Lumière est interactive. Elle vous parle dans le langage et dans la syntaxe de votre propre mental, elle vous montre des choses, et vous pouvez lui poser des questions. Il existe donc une manière de communiquer directement avec la déesse Sophia ou Gaïa, et c’est en accédant au niveau de concentration permettant de contempler cette Lumière et de lui amener ce que les Tibétains appellent la cognition immaculée. Vous allez à sa rencontre avec la pensée la plus belle que vous puissiez avoir, formulée dans le langage le plus exquis que vous puissiez imaginer. Vous amenez à Gaïa une question posée sur votre langue, comme une goutte de nectar, qui a été distillée par votre propre mental. Vous ne lui présentez que la question la meilleure que vous puissiez imaginer durant chaque session où vous la rencontrez.

Joanna Harcourt-Smith. Quelle est la pensée la plus immaculée que tu aies pu avoir et que tu aies adressée, à la Lumière, dans la syntaxe la plus exquise?

John Lash. Je ne pourrais pas répondre à ta question et ce pour deux raisons. Premièrement, parce que je ne m’en souviens pas parce que, comme Charles Tart le qualifie, c’est spécifique à un état. Il vous faut demeurer dans un état spécifique pour savoir ce qu’il faut dire. Secondement, parce que cela est un peu trop personnel et parce que ce dont on parle, en ce moment, c’est de ma conversation intime avec Gaïa, avec l’Intelligence Planétaire et je ne suis pas prêt à divulguer ce que ces conversations impliquent. Mais je dirais, pour revenir à ta question Capricornienne, ma Chère, que nous pouvons apprendre de Gaïa tout ce dont nous avons besoin pour notre survie et pour notre compréhension de ce que cela veut dire d’être humain. Nous pouvons apprendre d’elle comment nous connecter aux étoiles, aux nuages, à tous les animaux, aux insectes et aux oiseaux. Nous pouvons apprendre et c’est avec elle que nous avons appris durant des millénaires et des millénaires.  Gaïa est la source et la fontaine de la sapience de notre espèce et de la sagesse de la vie. Et donc, existe-t-il un meilleur espace pour apprendre à vivre et à devenir un authentique vecteur de l’évolution, un vecteur illuminé et dépourvu d’ego? C’est la source et pour en venir à la conclusion de notre échange d’aujourd’hui, c’est ce que j’entends par Shamanisme Télestique. Télestique est un adjectif que j’ai inventé à partir du terme Telestes, Telestai, qui est le nom des initiés dans les anciens Mystères. Ce que Telestes veut réellement dire, c’est celui qui est tendu vers un but parce que ce terme vient du mot Grec Telos, qui veut dire, finalité, objectif.

Un initié, dans la voie Gaïenne ou planétaire de mysticisme, est orienté vers l’intelligence de Gaïa et également  impulsé par ce qu’il ou elle apprend de Gaïa. C’est le processus d’être tendu vers un objectif. Il nous faut nous tendre vers un objectif. Ce qui me soucie le plus avec l’expérience psychonautique – et je ne veux pas prétendre que je sois plus avancé ou meilleur que quiconque d’autre, je ne veux pas rabaisser les hallucinations de tout un chacun – mais il y a beaucoup d’expérimentations qui ne sont pas cohérentes ou qui ne mènent nulle part. Et je vous demanderais – si nous pouvons répondre à la question essentielle de l’évolution grâce à un dialogue avec Gaïa – pourquoi ne pas nous orienter dans cette direction, pourquoi ne pas consacrer une partie de nos efforts psychonautiques afin de développer cette connexion? Terence McKenna était très impliqué dans cette connexion, pour la plus grande partie de ses activités; il est possible qu’il ait été quelque peu détourné, à un certain point de sa vie, par les permutations du Yi Ching et par les connexions cybernétiques; il est possible qu’il se soit quelque peu détourné de l’Intelligence Planétaire Gaïenne mais il est clair qu’il l’a définie magnifiquement, il est clair qu’il pointa dans cette direction. Et en tant que personnage charismatique de cette seconde génération, je pense qu’il ouvrit la voie de la troisième génération, il ouvrit la voie vers où nous sommes maintenant. Le Shamanisme Télestique est une forme de transe visionnaire au travers de laquelle vous amenez une question à la Lumière Organique et cela constitue l’unique propos de cette pratique. Et vous la pratiquez encore et encore et encore. Vous accueillez alors, émanant de l’Intelligence Planétaire, les enseignements reçus relatifs à votre question, vous revenez à la maison et vous appliquez ces enseignements dans votre vie.