Gémeaux. Bagalamukhi: la Bride de la Destinée

C’est présentement le 20 ème jour du cycle de Bagalamukhi qui commença le 26 mai 2009 – avec une nouvelle lune à 92 ECL, au delà des cornes du Taureau, et au pied des Jumeaux. Initialement, j’ai abordé cette shakti lunaire avec certains doutes car je sentais que les connaissances transmises concernant Bagalamukhi, y compris son image totémique de tête de grue, étaient bizarres et quelque peu incongrues. Je n’avais aucun rapport d’empathie avec Bagalamukhi, avant son cycle, et le champ de réception était, donc, totalement vide. Avec ceux de mes amis qui suivaient les cycles lunaires avec moi, nous nous demandions, avec beaucoup de curiosité, comment cette devata allait se manifester. Je me sentais moins confiant quant à mes capacités de détecter sa signature dans le flux mental. Et qu’en était-il de son trait spécifique, la faculté de paralyser? Au contraire des autres Mahavidyas – qui chacune possède un riche spectre d’attributs – cette devata semble limitée ou excessivement focalisée sur une action en mode attaque. La caractériser, de façon prédominante, comme la Mahavidya qui paralyse les ennemis et les rend muets, semblait être une accentuation nulle et non avenue. Il y avait là un hiatus. Il manquait définitivement un élément.

Sutaka: Conversion

Dans le premier commentaire concernant cette devata, j’ai écrit:

«Bagalamukhi signifie “avec la tête (mukhi) d’une grue (baka)”. Cette Mahavidya est unique dans la mesure où elle est thériomorphique, ce qui rappelle les divinités Egyptiennes tels qu’Horus à la tête de faucon et Sekmet à la tête de lion. Mais elle n’est pas représentée de cette manière dans le corpus récent de l’iconographie transmise. Je n’ai trouvé aucune représentation de Bagalamukhi avec une tête de grue mais Kinsley en cite une reproduction artistique à Kantra en Inde. Il n’est nul besoin de s’interroger à ce sujet. Il existe une pléthore de mystérieuses traditions à explorer dans le domaine des Mahavidyas».

L’image de la grue me troublait. Je pouvais extrapoler certaines connaissances traditionnelles qui semblaient correspondre – en corrélation avec le thème de l’union érotique dans la Constellation des Gémeaux, la danse Crétoise des grues qui est une danse d’accouplement, etc, etc. La notion de  “renversement de destinée” correspond bien également à cette constellation: les Gémeaux déploient une puissance dyadique accomplie et ritualisée par les Tantrikas qui accouplent leurs intentions – à savoir, qui pratiquent maithuna, la fusion sexuelle. Ces motifs et indices étant définis, il semblait que j’étais sur la bonne piste mais l’imagerie de tête de grue paraissait encore surfaite et tirée par les cheveux.

Comment le cycle s’ouvrit-il donc? Par un silence flagrant. Comme si la fréquence était enclenchée sans qu’une transmission ne soit évidente. Il semblait que la ligne subliminale fût éteinte. Une certaine tonalité de Dakini, pourrait-on dire. Je n’avais jamais eu cette impression auparavant avec aucune des devatas du Nexus des Shaktis. Cependant, je ressentais que la situation n’était pas telle qu’elle le paraissait. La transmission était en cours mais je ne la captais pas sur un mode habituel. En discussion avec certains de mes élèves en transception, une impression remarquable fut mise en lumière: le sentiment de recevoir des éclairs d’intuitions brefs, éclatants, quant au fait que “tout pourrait être soudainement différent”. L’élimination soudaine et complète des obstacles, le renversement de situations lorsque les éléments bloquants soudainement disparaissent, la réalisation que ce qui semblait être un problème ne l’est pas du tout, la dissolution instantanée de la peur comme si elle n’avait jamais existé en premier lieu – tout cela constituait des impressions communes dont nous discutions en tentant de conceptualiser un cadre pour cette transmission.

Et puis, en analysant le cycle de Bagalamukhi de 2008, je me souvins de l’inspiration du siddha de la conversion, sutaka.

Rendre, convertir, payer ses dettes, donner en retour ou en échange, se transformer, s’abandonner à un autre état ou forme. En argot Kalika, ce processus dynamique est appelé “retournement”. L’expertise fondamentale d’un Kala Tantrika est de “retourner” n’importe quel événement – particulièrement un événement qui implique des émotions obsessives et addictives, des sentiments extrêmes d’amour et de haine, de compassion et de dégout, de joie et de chagrin. Le Kalika accompli peut retourner n’importe quelle situation en plongeant au coeur des forces brutes qui l’ont générée et faite perdurer.

Cette expertise Tantrika, de transmuter toute expérience, correspond tellement bien au profil de Bagalamukhi que j’étais sûr de sa pertinence. L’expression de Frawley, également, “la présence cachée de l’opposé” continuait de m’intriguer. Je sentais qu’il existait un autre niveau de signification à découvrir. Je commençai à percevoir que la Sagesse de Dakini, transmise par Bagalamukhi, était exceptionnellement subtile. On pourrait, peut-être, dire que cette devata est notoirement rusée. Avec mes étudiants, j’ai fait l’expérience de cette cachotterie dans des éclairs d’intuition qui chatoyaient à la limite du langage tout en étant bien trop subtils pour être exprimés en mots. Si cela était son style de transmission, c’était exquis.

Durant un interview avec Jan Irvin, pour gnosticmedia.com, je lui ai offert ma définition personnelle de la vérité: c’est ce que vous tranchez aussi finement que la lame le puisse. On pourrait l’évoquer pour la transmission de Bagalamukhi.

 

Juin 2008

C’est ainsi que le motif du retournement tomba en place lorsque je révisai le cycle de Bagalamuhki pour 2008 mais, en fait, il restait plus, beaucoup plus, à émerger. Rétrospectivement, j’ai pris conscience que le cycle de cette devata, en 2008, avait constitué une période marquante de ma vie – un mois durant lequel mon entière destinée prit un tournant cataclysmique. Veuillez prendre en considération ces événements dans le cadre de la transmission de Bagala:

4 juin. Début de la transmission. J’étais en Belgique, à l’époque, et j’écrivais la liste de gratitudes pour Emma. La rage, la peur et la douleur que je ressentis de rompre avec elle fut ici convertie selon “la présence cachée de l’opposé”: de la gratitude pour l’expérience qui était en train de me transformer intégralement.

11 juin. Je rédigeai une nouvelle version du mythe d’Orphée et d’Eurydice. Parlons de retournement de fortune!

19 juin. J’imprimai 248 pages de “Farewell, Eurydice” – un roman pornographique d’amour – rédigé à un rythme enfiévré en trois semaines. Cet exercice en écriture fut la principale dynamique que je mis en place pour le retournement – en transformant la rupture avec Emma en une percée.

25 juin. Premier anniversaire de la mort de la personne qui m’introduit à Emma. C’était le jour où je montai sur Infinity Ridge avec l’intention de questionner Gaïa quant à la survie au travers de l’extinction en cours. Comme je l’ai expliqué dans mon essai “La réponse de Gaïa à un témoin sain d’esprit”, ma Gardienne Devi, une Naga qui vit dans un bosquet d’arbres sur la Crête, me frappa entre les deux yeux avec l’annonce étonnante qu’un rite d’initiation était en cours, déclenché par mon abandon par Emma: une épreuve de 108 jours qui, éventuellement, amena à la découverte du Nexus des Shaktis et du Terma de l’Eveil de Gaïa.

Du 30 juin à la conclusion du cycle le 3 juillet. Je commençai un kriya de neuf jours. un rituel Tantrique réalisé en-dessous de l’arbre à cording au-dessus de ma maison. Je me rappelle que lorsque je débutai ce rituel, j’étais intensément conscient de retourner des vagues de peur et de déni qui étaient dirigées vers moi. J’utilisai l’invocation “Je les renvoie totalement dans une compassion courroucée”. J’aurais pu tout aussi bien dire “Je les retourne en une compassion courroucée” – mais je n’ai découvert cette expression qu’un petit peu plus tard. Ce rituel réalisé dans trois directions avec trois phases de neuf comptes – ainsi que des mudras et une lame de Dakini – fut l’exploit shamanique le plus élaboré que j’ai jamais réalisé. Je ne pouvais pas même y croire en le réalisant. C’était comme si j’étais possédé par une autre puissance, une force d’une férocité éblouissante. Ce fut, à l’époque, le rituel Tantrique le plus puissant et le plus complexe que j’ai jamais réalisé – de loin. Aujourd’hui encore, je ne sais pas même comment j’ai réussi à l’orchestrer.

En rétrospective, ce rituel de retournement aura été réalisé dans la phase de complétude du cycle de Bagalamukhi – durant les derniers cinq jours lorsque l’instruction du cycle entier s’enclenche sur le mode manifestation, orchestration. Très adéquat. Sans le savoir, mon action refléta la force magique de la Dakini qui oeuvre au travers de “la présence cachée de l’opposé” et qui renverse les dynamiques des situations – particulièrement lorsque la peur, le déni et la retenue sont dirigées à votre encontre. Comme cela arrive souvent dans les affaires humaines. A ce moment de juin, l’année passée, Emma m’était totalement inaccessible et incommunicado. Je ne savais pas si cela allait durer, si c’était une séparation pour la vie. Dans les moments d’angoisse, je pensais que cela serait le cas. Je confrontais la perte totale de cette femme dans ma vie. Mais je ne reculai pas un instant dans mon intention d’accomplir ma destinée en combinaison avec la sienne. Je ne reculai pas d’un millimètre devant mon plaisir le plus élevé: d’avoir mon Eurydice à côté de moi, pour toujours.

De nouveau, au risque de paraître ennuyeux, je cite mes propres expériences parce que ce sont les seules dont je dispose pour cette époque. C’est comme si j’avais exploré des territoires non cartographiés de l’Amazone, tout seul – la première personne à atteindre ces espaces lointains et à prendre des notes. Subséquemment, d’autres allaient venir et proposer leurs propres observations… Aujourd’hui (le 25 juin 2009), pour le premier anniversaire de ces événements, ceux qui suivent avec moi les shaktis lunaires commencent à intervenir et à offrir une abondance d’expériences et d’impressions. Le Tantra Planétaire est né d’une intense crise personnelle, une rupture sexuelle-romantique. A ce jour, j’ai exprimé l’impact désolateur de cette expérience, tout autant que l’émerveillement et l’euphorie qui en explosèrent, en termes profondément personnels. Mais les allusions à l’histoire Emma/JLL sont tels des débris de coquille d’oeuf adhérant à un poussin fraichement éclos. Dans le futur, je vais présenter une expression plus sobre et dépersonnalisée de ma métamorphose et de ses phénomènes mystiques afférents.

J’ajouterais, cependant, que malgré le fait que ces expériences, qui sont les miennes, soient simplement anecdotiques, leur intensité est, nonobstant, exemplaire. D’autres personnes, bien sûr, passeront par des expériences très différentes. Les Kalikas définissent leur intensité de désir par le nom de leur addiction: je suis intoxiqué au sexe et à la romance. D’autres personnes diffèrent par leurs addictions, obsessions et prédilections. Cependant, un élément reste universel dans le Tantra: le mode d’extravagance, d’intensité subjuguante. Sur ce chemin, aucune vérité essentielle ne peut être réalisée si ce n’est par l’entremise de l’intention courageuse, et implacable, de ressentir toute chose sur un mode extrême. Telle est «la férocité et l’inclination omnivore de la voie Tantrique qui requiert que l’on confronte et métamorphose – que l’on métabolise pour ainsi dire – chaque expérience émergeant» le long du chemin (Miranda Shaw, Buddhist Goddesses of India).

 

La Bride

Pour en revenir au cycle actuel sous l’égide de Bagalamukh: le point médian fut durant la pleine lune du 7 juin, au jour 13, conduisant à la phase de réflexion et sélection. Au quatrième jour de cette phase, je vécus une nuit sans sommeil et une transmutation majeure.

Kinsley note que la désignation de “tête de grue” n’est pas acceptée par certains yogis Tantriques. La grue en Sanskrit est “baka” qui devient “bagala”. Mais est-ce certain? Cette association dans les termes est-elle valide? Un yogi a dit à Kinsley que le nom de cette Mahavidya vient de “valga” – qui signifie le “mors” de la bride. Mais serait-il possible que le mors, en tant que partie de la bride, soit une expression abrégée la désignant? Tout comme on emploie l’expression “prendre le volant” pour prendre la voiture. Au moment où je contemplai Bagala en tant que bride, mon mental démarra en mode subliminal et s’enclencha en transception. Et voilà ce que je reçus:

Bagala est la bride de rita, l’ordre cosmique, la destinée – de sorte que cette devata puisse être, également, dénommée Bagalarita. La bride de la destinée est l’inspiration, la guidance, l’entraînement uniquement subtil de cette Mahavidya.

Le cheval n’est pas contrôlé par un usage violent de la bride; le mors agit comme un signal, pour indiquer à l’animal de moduler sa puissance. La bride guide le cheval en lui permettant d’exercer toute sa puissance dans une seule direction, avec une intention, plutôt que de manière aléatoire et irréfléchie. La bride unit le cheval et le cavalier en une seule unité dynamique: une autre illustration du pouvoir de la dyade ou du couplage dynamique (Constellation des Gémeaux). Le mors de la bride exerce une pression sur la langue – en fait, en la réduisant au silence. L’acte de Bagalarita, de tirer la langue de l’adversaire pour le rendre silencieux, correspond parfaitement à l’allusion de la bride mais pas à l’allusion de la grue. Les grues n’utilisent pas leur bec, pour autant que je sache, pour saisir les langues des gens. Le trope du “mors/silence” est adéquat et évident tandis que le trope “grue-/langue tirée” n’est ni évident et ni adéquat. Les motifs et les allusions qui se mettent place de cette manière confirment que cette transception est correcte.

Dès que je perçus Bagala en tant que bride, un réseau d’associations se mit en place. Je réalisai qu’une grande partie de la guidance, de l’inspiration, implique de louvoyer autour des obstacles. Face à certaines personnes et à certaines situations, nous nous sentons bloqués, paralysés. Je présume que la paralysie de Bagalamukhi est le type de paralysie auto-induite que nous ressentons lorsque nous sommes confrontés à un problème qui ne veut surtout pas disparaître, un blocage émotionnel qui semble insurmontable, une partie de notre personnalité qui oeuvre contre nous et qui refuse le changement. Dans la puissance même de Bagala, son expertise d’incitation à la main légère, nous rencontrons “la présence cachée des opposés”. En d’autres mots, sa puissance secrète est de libérer la paralysie morale et émotionnelle émanant des blocages et des obstacles. Celle qui paralyze peut également dé-paralyser. Cette polarité est consistante avec la nature de cette Mahavidya et de sa constellation associée, les Gémeaux.

En discutant de cet aspect de la devata avec des amis, j’ai créé l’expression “le Permutateur de Bagala”. Cela permute lorsque quelque chose que vous pensiez ou ressentiez, ou quelque chose que vous teniez pour une conception permanente, soudain se métamorphose en son opposé. Par exemple, vous avez toujours détesté la musique classique. Et soudain, vous l’appréciez. Vous vouliez toujours être célèbre. Et soudain, l’incognito vous paraît extrêmement attractif. Cela peut aller dans n’importe quel sens mais il semble que Bagala ne déclenche exclusivement son permutateur que pour des éléments négatifs ou bloquants dans votre vie et qui vous empêchent d’accomplir le meilleur résultat de vos désirs.

Aujourd’hui, je bénéficie de l’expérience des autres afin de la comparer avec mes impressions quant à l’expertise unique de cette Mahavidya. Avec l’instruction de Bagala, vous n’avez rien à apprendre des blocages, vous ne processez pas de matière négative. La métamorphose est abrupte et si soudaine que vous ne pouvez pas vraiment la conceptualiser. A un certain moment, vous prenez juste conscience que vous n’avez plus besoin de continuer quelque chose qui vous bloque et qui vous retient en arrière. Elle permute les polarités et vous êtes soudain de l’autre côté du blocage. Je le compare à un panneau en face de vous avec une flèche pointant vers la droite – et soudainement pointant vers la gauche. Cette impression est indubitable. Plusieurs personnes en ont fait l’expérience, tout comme moi-même, plusieurs fois, durant ce cycle. Le renversement d’attitude est immédiat et époustouflant. La puissance exceptionnelle de Bagalamukhi semble résider dans la subtilité du permutateur – qui consiste en une sorte d’inspiration, rapide, silencieuse et impeccable. Lors de ce cycle, j’ai acquis beaucoup de respect pour la finesse de cette devata. A beaucoup d’égards, son instruction est plus proche de celle d’une Dakini de Ciel de Diamant que de celle d’une Mahavidya. Son utilisation de la lame de Dakini de la discrimination est superbe. Il y a beaucoup plus à apprendre sur le mode d’opération de cette shakti.

Quant à la guidance et l’inspiration, c’est un thème très ample, bien sûr. Ce que j’ai reçu, à ce sujet, durant ce cycle, est trop riche pour être relaté dans cette conclusion. J’y reviendrai un jour. Il suffit de dire que l’inspiration est l’inclination naturelle de votre propre potentiel divin – s’accomplissant lui-même. Elle est innée, intrinsèque, autonome et ludique. Et, cependant, les puissances surnaturelles en jouent, juste peut-être parce qu’elles prennent plaisir à participer à la destinée humaine, à en partager l’excitation. Je définis la destinée comme la structure d’événements qui conduit chaque individu vers sa vérité personnelle, vers son bonheur personnel – ou vers les deux. Poussés par le désir, nous suivons naturellement le flux des événements de la même manière que l’eau s’écoule au travers des roches et s’immisce au coeur des arbres. C’est lorsque les impacts de blocage de certains événements ou attitudes s’avèrent trop forts que le surnaturel peut alors intervenir.

Bagalamuhki renverses nos attitudes bloquantes afin que nous puissions contourner, avec grâce, tous les obstacles à notre vérité et à notre bonheur – plutôt que de s’y écraser de front. Elle représente et informe cet aspect de la psyché humaine qui se libère, spontanément, des conflits et des contradictions. La bride de la destinée nous tient, bien sûr, en gardant le désir étroitement couplé avec tout ce qui nous appartient authentiquement à aimer, apprendre et apprécier.

25 Juin 2009.  Andalucia